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au palais de Kensington, y trouva ces portraits, qu’elle signala avec admiration à George II, son mari, qui venait de monter sur le trône. De ce moment les crayons firent du bruit, et l’on songea à les graver. La collection se compose de quatre-vingt-neuf pièces, dont un petit nombre de répétitions. Beaucoup de ces portraits crayonnés sont d’une beauté extraordinaire et réellement vivans. Sous certains rapports même, ils sont préférables aux peintures finies, en ce qu’ils ont tout le feu du premier entrain, qui s’éteint sur la toile quand la nature n’est plus là pour le rallumer. Ce ne sont cependant que de simples traits à peine ombrés, sur papier couleur de chair, relevés de sanguine et parfois de légers frottis de pastel. Tous ces dessins font aujourd’hui partie du cabinet particulier de la reine d’Angleterre[1].


IV. – APOCRYPHES DE LA MODE ET DE LA MANIÈRE.

On vient de voir, combien l’étude des crayons peut aider à découvrir les supercherie de l’esprit de calcul et les erreurs de la fausse érudition ; mais l’erreur est un Protée, et, dans les portraits même dont l’authenticité n’est point en question, il y a encore à faire la part du faux. Ici le faux, c’est la convention c’est la mode. Les femmes, par exemple, veulent être peintes non telles qu’elles sont, mais telles qu’elles se rêvent. Les modèles payans exigent telle pose, telle étoffe, telle couleur, quand le goût commanderait telle autre. Les grands peintres, épris, avant, tout du pittoresque, n’ont déjà que trop de tendance à regarder la ressemblance matérielle comme un mérite secondaire : tout est perdu pour l’art sérieux dès qu’enchaînés par l’humeur du modèle, ils ne peuvent plus se livrer à l’essor de leur verve. Et puis, à force de copier les faces humaines, si différentes qu’elles soient d’ailleurs, on tombe dans l’univers, dans une sorte de convention qui, pour ainsi parler, se fige en une habitude de l’esprit et de la main. La seconde vue dans les arts sort des profondeurs de l’intelligence et de la perfection des organes ; mais que de degrés du talent au génie qui s’en tient à la nature ! Chaque école, chaque pays a ses procédés et sa manière. Tel peintre voit gris ; tel autre, jaune, rouge ou vert, et inflige forcément au portrait sa recette et sa routine. Pour trouver des exemples de cette nouvelle variété de l’erreur, nous ne saurions mieux nous adresser qu’à la peinture française de la fin du XVIIe siècle et de la plus grande partie du XVIIIe.

L’Angleterre fut toujours la terre classique du portrait, surtout depuis les leçons d’Holbein et de Van Dyck. On y rencontré d’abord un élève de Rubens, l’Ecossais George Jameson, homme habile, dont le pinceau assez large et transparent dissimulait le travail et cherchait le caractère. Sir Peter Lely, un Westphalien, sir Godfrey Kneller de Lubeck, l’Anglais sir James Thornhill, qui s’adjugèrent à Londres l’héritage de Van Dyck, furent les jouets de l’inconstance des goûts de leur temps. Le premier, imitateur parfois heureux de Van Dyck, mais sans l’éclair au front, sans ce feu magistral qui semble, si l’on peut dire, emporter la nature au bout du pinceau, rendit avec le même éclat factice, avec

  1. On les a ôtés de mauvais cadres où ils se gâtaient, et maintenant ils sont reliés en deux volumes. Le conservateur des dessins du roi George IV, John Chamberlain, a donné en 1812, une édition réduite in-4° des fac-simile de Bartolozzi qui sont in-folio.