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et les étoffes. Le portrait de Mme  de Graffigny, par Tocqué, est charmant ; celui de la reine, vêtue par le même peintre d’une robe à fleurs, est un chef-d’œuvre du genre, un résumé de tout le siècle ambré de Louis XV, quand il est habillé. Le Louvre possède ces derniers tableaux, mais les attiques de Versailles sont semés de peintures de ce talent aimable sans effort, naturel sans exagération, souriant sans grimace, coloriste sans fracas. À tous ces hommes, comme aux Alexandre Roslin, aux Charles Natoire, aux Frédou, aux François Boucher, le plus emporté de tous, ne demandez pas du style : images de leur siècle, ils chiffonnent les figures de leurs beautés poupines à l’égal de leurs dentelles et de leurs brocarts ; ils les noient dans les fleurs et la gaze, le velours et la soie, jusqu’à ce que ces folles dévideuses de la jeunesse, jetant leurs voiles sur les premiers buissons de lilas en fleurs, ne conservent plus qu’un négligé à la mode qu’on ne saurait appeler un costume que par exagération. Peintres souvent étourdis, parfois sérieux, de tant de têtes légères, ils ont avant tout du charme et de la séduction : ils sont amusans, qualité si rare dans notre pays, où l’ennuyeux prévaut ! Il n’y a pas jusqu’aux charmilles que ces pinceaux égayés et fleuris ne fassent sourire à leur manière. Tenez, hier encore, je voyais à Versailles un portrait du peintre Jacques La Joue avec sa famille (qui connaît ce La Joue ?). Mon homme s’est peint lui-même, la palette à la main, dans un paysage, non de ces paysages époussetés de l’école du vieux Bertin, et où semble croître du cresson de haute futaie, mais libre et sans façon. À la pose du peintre, on dirait qu’il va répéter un menuet. Un doux rayon de printemps joue dans la feuillée tremblante, tandis qu’à la fraîcheur d’une fontaine, la femme, auprès de sa petite fille, écoute en bergère de Florian les soupirs de la nature qui se réveille, et qu’au-dessus de leur tête des essaims de couvées jaseuses gazouillent à l’envi, filant leurs notes aux zéphyrs. Je ne vous dorme pas cela pour un chef-d’œuvre, tant s’en faut ; mais Nuremberg n’a pas de plus joli joujou que la petite fille, et, somme toute, le tableau est bien la plus amusante idylle qui se puisse voir.

Qu’on ne s’étonne point que cette école immodérée et indisciplinée, plus préoccupée du piquant de l’effet que de la sévérité du dessin, noyât souvent le modelé des traits dans ses flots de couleur. Elle avait cependant, tout comme une autre, sa théorie du beau idéal. Les Mémoires de l’aventurier Casanova de Seingalt, frère du peintre de batailles, contiennent, sur ce sujet, un passage où il met en jeu le bonhomme Nattier qu’il avait connu à Paris, en 1750 : « Ce grand artiste, dit-il, avait alors quatre-vingts ans[1], et, malgré son grand âge, son beau talent semblait encore être dans toute sa fraîcheur. S’il faisait le portrait de une femme laide, il la peignait avec une ressemblance parlante, et, malgré cela, les personnes qui ne voyaient que son portrait la trouvaient belle… D’où lui venait cette magie ? Un jour qu’il venait de peindre les laides Mesdames de France, qui sur la toile avaient l’air de deux Aspasies, je lui fis cette question ;

  1. Casanova se trompe : le Nattier dont il veut parler n’avait encore que soixante-huit ans. Il y a trois peintres de ce nom : Marc Nattier le père, né en 1642, à Paris, où il mourut en 1705 ; — Jean-Marc, appelé le cadet, mort le 7 novembre 1766 à l’âge de quatre-vingt-quatre ans. C’est celui dont parle Casanova. Il a peint les portraits de Mesdames, qui sont à Versailles sous les attributs des Quatre Elémens. — Le troisième Nattier s’appelait Jean-Baptiste et naquit en 1712.