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le partage de la pologne.

M. de Mercy essaya de nouer quelques intrigues avec les vainqueurs ; mais il leur était suspect : il ne réussit point, il fut rappelé à son tour. Dans des lettres qu’on prétendait écrites à l’insu du prince Kaunitz, mais qui certainement étaient émanées de sa chancellerie, l’impératrice Marie-Thérèse, par des émissaires secrets, assurait le comte Poniatowski de sa protection et donnait pour preuve de sa bienveillance le rappel du comte de Mercy ; ce qui ne l’empêchait pas d’envoyer au parti du comte Braniçki d’autres émissaire avec des complimens et des promesses.

Ce malheureux parti patriotique savait si peu le véritable état des choses, qu’il s’adressa au roi de Prusse. Frédéric le reçut l’ironie dans les yeux et le sarcasme à la bouche. Cependant, pour mieux démontrer aux Polonais l’impuissance des cours de Versailles et de Vienne, pour leur faire comprendre qu’il était auprès de Catherine le seul protecteur efficace de la Pologne, il offrit un asile dans ses états au prince Radziwil et aux patriotes les plus compromis. La fausse générosité de Frédéric releva les espérances des Polonais, mais ce fut pour bien peu de temps. L’aveuglement le plus complet, la foi la plus tenace, la plus obstinée, durent enfin tomber à la vue du cordon de l’Aigle-Noir envoyé au comte Poniatowski par le roi de Prusse et surtout devant la publication, d’un traité conclu entre ce prince et l’impératrice de Russie.

Dès ce moment, l’avènement de Stanislas ne fut plus douteux. Il y avait bien quelques répulsions assez vives jusque dans la famille Czartoriska. Les chefs de cette maison se jugeaient plus dignes du trône que leur neveu par le mérite et surtout par la naissance ; mais ils sentaient que la résistance était inutile. « Eh quoi ! disait au prince Auguste la princesse Lubomirska, née comtesse Krasinska, palatine de Lublin, croyez-vous qu’un coup de fortune si extraordinaire puisse réussir sans bouleverser le pays ? – N’en doutez pas, répond Czartoriski : je crains plus les troubles que personne ; je crains pour mes biens, pour mes châteaux, je mourrais de chagrin de les voir désolés ; mais le moyen de prévenir les troubles, c’est de se soumettre à la volonté de la Russie, et je crois que la plupart des seigneurs du pays penseront comme moi, bien qu’au fond nous soyons tous fâchés, moi le premier, de nous voir soumis à un aussi jeune homme d’une naissance inférieure à la nôtre. Quoique le stolnick[1] soit mon neveu, je pense au fond du cœur, sur cet article, comme les Potocki, les Radziwil, les Sapieha et tant autres ; mais qu’y faire ? Nous ne pouvons

  1. Stanislas Poniatowski était stolnick, c’est-à-dire pannetier du grand-duché de Lithuanie.