Les portraits de Mme de Maintenon accrédités de nos jours ne la représentaient pas sous la protection des traits gracieux de la jeunesse, mais vieille, mais triste et morose, amuseuse ennuyée d’un vieux roi ex-libertin qu’elle n’aimait pas et qui avait peur de l’enfer. Matrone altière et prude, arrivée à cet âge où la femme est la proie des poètes et des confesseurs qui se disputent à qui en fera une muse ou une sainte, elle n’avait pas la stérile passion de la vanité, quoique précieuse et bel esprit ; elle avait cet indomptable orgueil qui creuse et entreprend de loin ; elle avait cette ambition insatiable et blasée qui, au plus haut point de la grandeur, lui faisait dire au comte d’Aubigné, son frère : « Je n’y peux plus tenir, je voudrois être morte. — vous avez donc parole d’épouser Dieu le père ? » répondait l’autre. « Il y a peu d’honnêtes femmes qui ne soient lasses de leur métier ; » aurait ajouté le duc de la Rochefoucauld. — Bien différente de celles qui veulent glisser dans la vie sans être vues que de Dieu, je ne sais quoi se débattait incessamment en elle contre l’obscurité et la poussait au jour. À elle le grand soleil, la considération, la gloire humaine, les honneurs de l’opinion : c’était son trône. « Je coulais être estimée, dit la marquise elle-même dans sa correspondance : l’envie de me faire un nom était ma passion. » Maîtresse passée dans cette habitude de dissimulation et de finesse que son naturel froid et prudent lui rendait facile, et dont toutes les positions de sa vie, depuis le berceau jusqu’à sa mort, lui avaient fait une nécessité, elle ne régna point par ses charmes, quoiqu’elle fût belle ; elle domina par la tenue de son caractère. Et de fait, qu’on se rappelle l’espèce de condition demi-serve où l’avaient jetée les misères de son enfance, la domesticité dont l’avait honorée le dédain d’une parente sans cœur, son alliance avec un cul-de-jatte moribond, de tous les maris le plus ridicule : — en fallait-il davantage pour la contraindre de bonne heure à se cuirasser de glace et de dignité, afin d’échapper aux entreprises des protecteurs du bel air ? Et force était pourtant d’être toute à tous ; de faire toujours gracieux visage, de redoubler d’esprit et d’histoires agréables quand le rôt manquait ; or, il manquait souvent.
L’amabilité qui attire, alliée à la tenue sévère et boutonnée qui impose et tient à distance, tel est le secret de l’empire de Mme de Maintenon avant et depuis son veuvage. Supérieure à Louis XIV en esprit et surtout en instruction, elle étonnait, charmait, dominait le roi par sa raison assaisonnée de grace, et le contenait à la fois près d’elle par les scrupules de la religion : « Je le renvoie toujours affligé, jamais désespéré, » disait-elle à Mme de Frontenac. Encore un Peu de temps, et le pinceau de Mignard lui donnait les honneurs princiers du manteau d’hermine : « Sainte Françoise le mérite bien, » avait dit Louis XIV.
Long-temps l’amie de celle dont elle avait élevé en secret les enfans, fruits d’un double adultère, elle s’était étudiée à la saper dans le cœur du roi. L’ingratitude lui est bonne, elle en use et ne s’en défend pas. Confidente avec complaisance des amours du prince, en connaissant dès-lors et les ardeurs, et les impatiences et les voies, elle mit fin à toutes ses galanteries, ferma toute avenue à ses affections, même les plus innocentes, et le jeta dans une dévotion dont la révocation de l’édit de Nantes a fait connaître l’étendue et le danger. Tout grand fait historique a sa légende : beaucoup d’esprits chagrins s’obstinent encore à demander compte de ce désastreux événement à la marquise, au lieu de le demander à son époque. Non, Mme de Maintenon ne fit point la