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mais qui procédaient du moins, on doit l’avouer, d’une sorte de logique.

M. le ministre des finances ne se place ni dans la situation, de sir Robert Peel, ni au point de vue de M. Goudchaux. Il impose un sacrifice aux contribuables, sans avoir l’excuse des bénéfices qui doivent en revenir à l’état ; il introduit une machine de guerre dans l’édifice financier sans être décidé ni à la destruction ni même à la réforme. Le mobile de sa conduite ne peut raisonnablement se déduire ni des principes ni des résultats. Si l’impôt sur le revenu devait rapporter les 320 millions qui forment, dans le budget primitif de M. Passy, la différence entre les dépenses et les recettes, s’il était destiné à combler le déficit et à nous rendre ainsi la liberté de notre action en Europe, il n’y aurait pas à balancer : nous braverions tous les inconvéniens et les dangers inhérens à cette nature de taxes, la raison suprême, le salut du peuple en ferait une loi ; mais pour 60 millions, et avant d’avoir tenté d’autres moyens, s’exposer à semer en France la guerre sociale, c’est acheter à trop haut prix, en vérité, de trop médiocres bienfaits.

La nécessité ne marque donc pas l’impôt sur le revenu de son signe. Nous restons libres de l’examiner en lui-même et pour ce qu’il vaut, dans son principe aussi bien que dans ses conséquences.

L’impôt sur le revenu convient à l’enfance des sociétés. C’est la première forme des taxes. L’impôt se paie alors en nature : l’état, en ré compense de la protection qu’il donne à la société, et pour subvenir aux frais de cette tutelle dans la paix comme dans la guerre, prélève une part de produits. On lui attribue la dîme des fruits du sol, car le sol est à peu près la seule propriété, et l’agriculture la seule industrie de l’homme. Il y a là une forme simple de taxes en rapport avec un état social où les relations et les intérêts ont gardé leur simplicité primitive, qui ne connaît pas le travail manufacturier, qui a peu de commerce ; et où la richesse est encore à naître. Cet impôt est partout contemporain du pouvoir absolu, que le pouvoir appartienne à un prince ou à un prêtre ; il subsiste tant que la société conserve dans son gouvernement quelque chose de rudimentaire et de patriarcal. La dîme, ainsi que Turgot le fait remarquer, peut s’établir alors plus aisément qu’aucune autre taxe ; comme cette contribution est levée au moment de la récolte et dans la proportion des fruits, le contribuable a toujours de quoi payer, il paie sur-le-champ, sans frais pour lui et sans déchet pour l’état. Sur dix gerbes que son champ lui a données, le fisc en prend une, et tout est dit jusqu’à la moisson prochaine.

À mesure que la civilisation fait des progrès, que les peuples s’enrichissent, que les gouvernemens perdent leur caractère municipal et paternel pour s’élever à la hauteur, des combinaisons politiques, la dîme tend à disparaître.