Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/73

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dès que le propriétaire foncier cesse de cultiver lui-même ou de faire cultiver par des serfs attachés à la glèbe, et que la terre exploitée par le fermier produit une rente à son possesseur, alors naît et se développe un ordre de choses nouveau. Comment partager avec l’état dans une proportion quelconque, mais déterminée et exacte, des produits que l’on ne récolte plus en nature ? L’industrie et le commerce, quand ils viennent à prendre l’essor, sont un autre obstacle à l’établissement ou au maintien de la dîme ; ils ne peuvent pas lever sur les fruits de leur travail la part de l’état ou de l’église, car leur récolte ne commence qu’à l’instant où les produits de toute cette activité se convertissent en argent. Il arrive donc un moment, dans la marche des sociétés, où la dîme ne peut plus s’étendre à tous ceux qui devraient contribuer, aux charges publiques et où elle ne traite pas par conséquent selon la règle de l’égalité proportionnelle les contribuables qu’elle atteint.

La dîme est un impôt sur le revenu brut. Or, il s’en faut que le produit net réponde partout dans la même proportion au produit brut de l’industrie agricole. Cette proportion dépend des frais de culture, qui varient comme la fécondité du sol et l’habileté du cultivateur. Il peut arriver que le dixième brut enlève et même excède le produit net, que l’on entame ainsi la portion du cultivateur, et que, selon la belle expression de Turgot, « l’on fauche plus que l’herbe. » Aussi, dans les pays aristocratiques comme la Grande-Bretagne, où l’on conserve encore la dîme, a-t-il fallu, pour diminuer l’injustice de cette taxe, en venir à des compositions en argent.

À l’impôt sur le revenu brut devait succéder, dans l’ordre rationnel des événemens et des idées, l’impôt sur le revenu net. La contribution du dixième ou du vingtième fut un progrès, si on la compare à la dîme ; car cette taxe embrassait toutes les fortunes et demandait plus exactement à chacun dans la proportion de ce qu’il pouvait posséder. Toutefois l’impôt sur le revenu net annonçait un état de société encore faiblement dégagé des mœurs patriarcales, et un gouvernement en quelque sorte domestique. La contribution, en effet, avait pour base les déclarations des contribuables, ce qui suppose un ordre social où tous les revenus sont au soleil, et où, tout le monde se connaissant, la mauvaise foi devient presque impossible. Cependant, même dans de telles condition, l’impôt sur le revenu n’a jamais été appliqué complètement ni sincèrement. La taxe foncière (land tax), qui était en Angleterre, dans l’origine du moins, une taxe applicable à tous les revenus, avait fini par n’être plus acquittée que par les propriétaires du sol. En France, le vingtième d’industrie ne donnait pas un revenu de 1,200,000 livres, à une époque (1786) où le vingtième établi sur le revenu du sol rendait près de 22 millions. D’où l’on peut conclure que, même dans les circonstances les plus favorables, lorsque la taxe