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sombre tenture brodée de perles, un pan du ciel semé d’étoiles. À notre entrée, l’orchestre, qui se composait d’un violon, d’une guitare et d’un chanteur, donna le signal, et quatre danseuses, en costume de majas, jupe courte pailletée d’or, bas de soie, souliers jaunes, une fleur de grenadier sur la tempe, bondirent dans le patio en compagnie de quatre Andalous en culottes de soie, au bruit retentissant des castagnettes. La cachucha, qu’ils exécutèrent très vivement, me rappela, sans la dépasser, la danse à laquelle la Dolores Serral a initié, il y a quelques années, les spectateurs des Variétés ; mais ce n’était là qu’une préface. Un silence se fit, et une des danseuses s’avança seule, d’un pas lent, au milieu du patio. Elle se nommait Carmen. C’était une fille de seize ans,

Pâle comme un beau soir d’automne,


mince et souple, avec de longs yeux noirs pleins à la fois de mollesse et d’ardeur, s’il est permis d’unir ces deux mots, qui semblent incompatibles, pour décrire ce regard espagnol, éclatant et voilé, où la tristesse le dispute à la passion et la provocation à la langueur. Elle était vêtue d’une jupe rouge ; ses bras, qui avaient encore le contour un peu maigre de la jeunesse, étaient cependant pleins de grace. Je n’ajouterai pas qu’elle avait une jambe faite au tour, car cette expression, quoique fort employée, est une des plus bêtes que notre langue comporte ; elle appartient au langage des gens dont je parlais tout à l’heure. Qu’est-ce donc qu’une jambe faite au tour ? C’est un balustre. Vous figurez-vous une jambe ainsi modelée, avec un mollet par devant et par derrière ? Je me bornerai à dire que Carmen avait la jambe belle, et qu’en somme elle était très jolie, des pieds à la tête. Arrivée au milieu de la salle, elle éleva lentement ses deux bras et fit claquer ses castagnettes. La musique aussitôt commença un de ces airs lents et simples dont la phrase unique se reproduit sans cesse, semblable à ces ritournelles monotones, pleines de je ne sais quelle grace naïve, qui furent sans doute les chants des premiers âges, et qu’adorent encore les peuples primitifs de l’Orient. Carmen, presque immobile, commença un de ces voluptueux monologues qui rappellent la danse des bayadères et des almées. Dans tout l’Orient, depuis Madras jusqu’au Caire et jusqu’à Séville, la danse parle le même langage et exprime par des signes presque semblables les mêmes sentimens. Il est de toute évidence que l’Andalousie est orientale par ses danses encore plus que par son costume. Carmen, pour peu qu’elle eût couvert de sequins d’or son front pâle et entouré d’une simple gaze sa taille flexible, eût été par ses poses, ses yeux, ses ondulations, une almée en Égypte et une bayadère dans l’Inde. L’imagination, qui ne se fait faute de traduire, en les enflammant ces muettes pantomimes, trouvait aisément, dans la physionomie seule de Carmen, des réminiscences asiatiques. Rêveries