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sérénité de leurs jours, brillans et froids comme les diamans dont Laure aimait à charger sa tête. N’étaient-ils pas heureux ? Que manquait-il à leur bonheur ? Laure avait un titre, et Gaston l’opulence ; elle était marquise, il était millionnaire : que pouvaient-ils souhaiter de plus ? À défaut d’amour, leurs vanités se caressaient, s’encourageaient mutuellement. En voyant son mari se parer de sa richesse, Laure pensait ne lui rien devoir ; en voyant sa femme se parer de son nom, Gaston se croyait quitte envers elle. Je n’ai pas besoin d’ajouter que l’attitude du marquis de La Rochelandier vis-à-vis de sa jeune épouse était celle d’un vrai gentilhomme ; sa courtoisie, l’exquise élégance de son langage et de ses manières flattaient Laure plus délicieusement que n’aurait pu le faire l’expression de la tendresse la plus vive, la plus exaltée. Ç’avait été de tout temps la conviction de Mme Levrault qu’entre gens de qualité les choses ne se passent pas autrement, et que l’amour dans le mariage ne convient qu’aux petits bourgeois. En attendant le retour de l’aristocratie qui s’attardait au fond de ses parcs effeuillés, Laure préparait ses toilettes et ses écrins ; Gaston achetait les plus beaux chevaux de Paris. La jeunesse de sa femme, sa grâce, sa jolie figure, le mettaient à l’abri de tout commentaire injurieux, et devaient lui servir d’excuse aux yeux du monde ; il se consolait de son beau-père en faisant sauter ses écus. Rendons-lui cette justice, que, sans être un héros, un poète, il n’était pourtant pas indigne de l’aubaine que lui avait envoyée le sort. Il aimait le luxe comme les fleurs aiment le soleil ; la fortune l’attirait surtout par son côté lumineux et charmant. Il comprenait, il adorait les arts. C’était un cœur honnête, un esprit généreux. S’il s’était consumé dans l’inaction, c’est qu’il avait dû subir les exigences de son nom, moins impérieuses encore que la volonté de sa mère. Plus d’une fois il avait rougi de sa faiblesse et de son inutilité ; plus d’une fois il s’était emporté contre des préjugés de caste, contre des traditions de famille, qui, prenant l’honneur et la dignité à l’envers, lui imposaient l’oisiveté comme le premier, comme le plus saint des devoirs. S’il avait accepté les profits d’une mésalliance, il ignorait par quels détours la marquise en était venue à ses fins ; bien qu’en réalité, il eût sacrifié son orgueil à son ambition, il n’avait point failli à l’antique loyauté de sa race. Tout en convoitant les millions, il ne s’était pas abaissé à les courtiser ; s’il avait, lui aussi, sacrifié au veau d’or, il l’avait fait sans incliner le front ni ployer le genou.

Ainsi tout allait bien ; rien ne semblait devoir interrompre le cours de tant de joies et de prospérités. Cependant, au bout de six semaines, de deux mois tout au plus, un œil exercé aurait pu découvrir dans l’intimité de la marquise et de son doux ami quelques-uns de ces nuages que les marins appellent fleurs de tempête. Trois mois à peine s’étaient écoulés, et déjà la tempête grondait sous le toit de l’hôtel Le-