vrault. Que s’était-il passé ? que se passait-il ? Rien que n’eût prévu, trois mois auparavant, un esprit doué d’un peu de clairvoyance.
Une fois maîtresse de la place, la marquise, qui, pour y pénétrer, s’était faite humble, petite et caressante, avait relevé peu à peu la tête. Son orgueil s’était mis à l’aise ; tous ses instincts avaient repris insensiblement le dessus. M. Levrault cherchait la grande dame qu’il avait connue, souriante, bienveillante, sans morgue ni hauteur, d’un abord si facile, d’un commerce si doux, d’une humeur si affable ; il la cherchait et ne la trouvait plus. Tout en le ménageant, non par affection, mais parce qu’elle avait intérêt à ne pas le heurter de front, la marquise en était arrivée sans déchirement, sans secousse, à changer vis-à-vis de lui d’attitude, de ton et de manières. Le remettre délicatement à sa place, le reléguer sur le second plan, le pousser peu à peu de la scène dans les coulisses, tel était le but vers lequel tendaient désormais ses efforts. Peut-être lui eût-elle pardonné sa sottise et son origine ; mais les humiliations qu’elle avait dévorées en silence, les semblans d’amitié qu’elle avait eus pour lui, les manœuvres auxquelles elle était descendue pour capter sa confiance, voilà ce qu’elle ne lui pardonnait pas. Sa voix avait perdu ces inflexions câlines qui le remuaient jusqu’au fond de l’ame. L’aimable ami n’était plus que M. Levrault, tout sec et tout court. Elle avait de temps en temps une façon de prononcer ce nom de Levrault qui frappait de terreur l’ancien marchand de drap et le replongeait dans sa boutique. C’en était fait des tendres épanchemens et des entretiens familiers. Cette marquise, qui ne parlait autrefois que de la modestie de ses désirs, de la simplicité de ses goûts, et qu’il avait fallu arracher presque de force aux habitudes du paisible manoir, cette marquise, amoureuse naguère de l’ombre et du silence, ne vivait, ne respirait que pour les vanités du monde. Elle était rentrée en triomphe dans la société monarchique où elle avait brillé d’un vif éclat sous la restauration, et qui se montrait de moins en moins sévère sur l’article des mésalliances. Son grand nom, son attachement au parti de la légitimité, son zèle éprouvé pour la sainte cause lui avaient ouvert toutes les portes du noble faubourg. M. Levrault, bien entendu, ne l’accompagnait nulle part ; la marquise ne pensait pas pouvoir l’envelopper de trop de mystère. Elle allait, venait, sans plus se soucier de lui que s’il n’eût jamais existé. À vrai dire, ce n’était point là l’Égérie qu’il avait rêvée. Ce n’est pas tout. M. Levrault rappelait dans son hôtel les rois fainéans de notre histoire. Comme les anciens maires du palais, la marquise avait absorbé tous les pouvoirs et ne prenait plus conseil que d’elle-même. Elle gouvernait despotiquement, et, de régente, était passée reine. Elle se fût accommodée d’une cellule, eût vécu heureuse sous un toit de chaume ; en attendant, elle occupait le plus riche appartement du logis. Servi-