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ont pu être donnés, pendant la même semaine, par quatre théâtres, dont aucun n’est le Théâtre-Français ? A qui faut-il s’en prendre de cette bizarrerie ? Est-ce la faute de notre temps ou de la Comédie-Française ? Devons-nous y voir le résultat de ces influences fâcheuses sur lesquelles il est de bon goût de se taire, vu simplement un nouveau symptôme des tendances d’un siècle où tout se nivelle, et où la confusion des rangs gagne, de proche en proche, jusqu’aux hiérarchies dramatiques ? À cette première remarque, nous en ajouterons une autre c’est que ce réveil soudain du théâtre serait plus significatif encore, si des publications antérieures de feuilletons ou de romans n’avaient pas à prélever leur part sur plusieurs de ces pièces ; si, dans cette transformation du récit en drame, les conditions distinctes, souvent même contraires, des deux genres avaient pu être également observées, et si, en passant du journal au théâtre, il n’avait pas dû arriver fatalement, ou que la forme primitive subsistât assez complètement pour nuire à l’effet scénique, ou qu’elle disparût assez pour que l’œuvre y perdît quelques-unes de ses qualités originales.

Le Comte Hermann du moins est, à ce qu’on assure, à l’abri de cet inconvénient ; si nous ne l’affirmons pas d’une manière plus positive, M. Dumas ne doit en accuser que lui-même, ses habitudes littéraires, et cette fécondité désastreuse qui, l’empêche, dit-on, de se rappeler le chiffre exact de ses livres. Bien que ses antécédens autorisent notre méfiance, et qu’on puisse toujours se demander si tout est bien nouveau dans les nouveautés qu’il nous donne, nous croyons cependant qu’on peut accepter le Comte Hermann comme un drame sui generis, écrit tout exprès pour le théâtre, et arrivant sur la scène sans avoir préalablement trempé dans les bas-fonds littéraires. Il est donc juste de le distinguer de cette série de tableau plus ou moins dramatiques, taillés en plein drap du feuilleton, et n’ayant d’autre mérite que de substituer à l’intérêt frivole des aventures et des surprises l’intérêt plus puéril encore des coups de théâtre et des machines. D’ailleurs, en supposant même que le Comte Hermann ne soit pas une œuvre entièrement nouvelle, qu’on y retrouve au moins la trace de drames antérieurs, il suffit d’un peu d’habitude pour reconnaître que, par ses proportions, sa donnée, sa marche rapide, la coupe des actes, la pensée dans les détails et dans l’ensemble, c’est bien réellement au théâtre, qu’était destiné l’ouvrage de M. Dumas.

Ce n’est pas là, nous l’avouerons encore, le seul mérite du Comte Hermann. Si l’on y rencontre quelques caractères trop conformes à la tradition du mélodrame ; si le médecin Fritz, malgré les prétentions de l’auteur à en faire le représentant du matérialisme scientifique opposé au spiritualisme chevaleresque du comte, n’est au fond qu’une variété du traître, exactement copiée d’après la poétique du genre ; si cette poétique violente se reconnaît encore dans plusieurs des ressorts qui amènent les principaux effets, on doit convenir que ces effets sont saisissans, que l’intérêt est réel, l’émotion vive, l’action nouée avec force et dénouée avec habileté. Le caractère du comte Hermann, en dépit de son langage emphatique, a vraiment de la grandeur ; on y sent tasser çà et là un souffle de Schiller, un reflet du marquis de Posa. Au troisième acte, lorsque le mélodrame n’a pas encore envahi la scène, et qu’Hermann mourant unit de ses mains défaillantes son neveu et jeune femme, dont il a deviné l’amour, les larmes coulent sans que le juge le plus sévère ait à discuter cette situation