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tribune, a obtenu un succès de surprise et de gaieté. Heureux pays, où les parties extrêmes en sont encore réduits, pour occuper leurs loisirs, à soulever la question des incompatibilités !


LE PARLEMENT PIÉMONTAIS.


Après la débâcle de Novare, on eût pu croire qu’un mouvement marqué de réaction allait se faire sentir en Piémont. L’expérience faite de la fameuse chambre démocratique et des maux qu’elle avait attirés sur le pays devait avoir guéri celui-ci pour long-temps du goût des aventures, et il était naturel de s’attendre à ce que le bon sens irrité des électeurs renvoyât à leur obscurité première ces avocats bavards, dont l’outrecuidance et l’impéritie avaient désorganisé l’état, et l’avaient conduit à deux doigts de sa perte. Loin de là ; par une contradiction singulière, tandis que la nation pansait encore ses plaies saignantes et pleurait ses fils sacrifiés, on l’a vue, avec surprise, réélire les mêmes mandataires. À s’en tenir aux apparences, et après la règle des gouvernemens représentatifs, ce résultat devait être pris pour la sanction du passé. Il n’en était rien pourtant, car, aux yeux de quiconque a vu le Piémont à cette époque, il est hors de doute que si le nouveau roi eût voulu changer la constitution et supprimer le régime parlementaire, peu de voix se fussent élevées et eussent protesté contre lui.

Pour se rendre compte d’une telle anomalie, il faut savoir que nulle part la différence entre le pays vrai et le pays légal n’est aussi profonde qu’en Piémont. Ce n’est pas qu’un cens restreint y exclue de la vie publique, comme avant février chez nous, cette classe nombreuse de citoyens qu’on nommait les rapacités, celle qui, après tout, fit l’opinion dans les pays libres, et remette la conduite des affaires à une faible minorité ; la législation sarde est au contraire, en fait, d’élections, la plus libérale qu’on ait pu imaginer, sans aller jusqu’au suffrage universel. Un cens extrêmement réduit, l’absence de conditions d’éligibilité et l’adjonction de tout ce qui offre la moindre garantie de culture et d’intelligence semblent y avoir assis le suffrage électoral sur de larges bases ; mais ce que la loi avait cherché à éviter, l’indolence et l’apathie de la population a su le faire. Les quatre cinquièmes des électeurs ne votent pas. Ce sont, pour la plupart, de petits propriétaires campagnards, gens paisibles, peu soucieux de leurs droits, mal au courant de la politique, et ne voulant pas se donner la peine d’aller porter leur bulletin au district. Cela se voit souvent et ailleurs qu’en Piémont. Les élections se trouvent donc abandonnées à une fraction très peu considérables d’habitans des villes, à cette petite bourgeoisie ignorante et jalouse dont l’esprit étroit et les mesquines passions offrent une prise facile aux meneurs. Ceux-ci exploitent la position avec une scandaleuse impudence, abusant sans scrupules de la sottise des uns et de la naïveté des autres, faisant nommer sur la simple désignation du comité démocratique de Turin des personnages parfaitement inconnus de ceux qui veulent bien, de