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de toutes les églises normandes qui ont survécu, dans l’île, à l’idée catholique qui les avait fondées. Elle fut consacrée à Saint-Brelade, gentilhomme normand en 111, et certes elle est du temps où l’on savait prier à deux genoux, car elle demeure inébranlable comme la foi sous le coup des orages et des tempêtes. De grands arbres, bien jeunes à côté d’elle, l’entourent et la protégent de leur ombre. Plantés dans le cimetière, ils rappellent la brièveté de la vie humaine, quand on compare la durée de leurs solides rameaux, au rapide passage des générations endormies à leur pied. Des ossemens sous leurs racines, des nids d’oiseaux dans leurs branches, quel contraste !

Nous avons cité Saint-Brelade, parce que cet édifice est le plus ancien des monumens de l’île dont la date soit certaine, et nous avons hâte de déclarer que nous ne donnerons point la description des douze églises paroissiales de Jersey, bien qu’elles méritent presque toutes l’attention de l’antiquaire et de l’artiste. Ces églises appartiennent, pour la plupart, à la meilleure époque de l’architecture religieuse, à la période qui commence au XIIe siècle avec l’ogive, et s’arrête au XIVe devant les exagérations du style flamboyant. Chose singulière, tandis que des monumens d’un goût sévère et irréprochable s’élevaient sur tous les points de l’île de Jersey, les habitans, incultes et barbares comme les Bretons leurs voisins, exerçaient autour de leurs rochers la piraterie, et sur leurs côtes cet autre brigandage, plus odieux et plus lâche, qui consiste à pilier les naufragés. Dieu les en punit, disent les chroniqueurs, et voici comment. – La partie occidentale de l’île, aujourd’hui rongée par les flots et inondé de sable, était, avant l’hiver de 1495, un riant pays couvert de moissons. Par une froide nuit de novembre de cette fatale année, des navires espagnols, qui se rendaient dans les Flandres, périrent sur les récifs dangereux cachés au pied du promontoire nommé la Corbière. Quelques marins échappés du naufrage gagnèrent la terre ; mais les habitans les pillèrent. La tempête ne s’apaisa point ; les vents du large qui avaient jeté les matelots espagnols entre les mains de ces avides insulaires se chargèrent aussi de les venger : ils poussèrent sur la rive les masses de sable qu’on y voit aujourd’hui, changeant en un désert des campagnes florissantes. Ces dunes mouvantes, impropres à la culture, se couvrent par endroits de longues herbes marines et de plantes remarquables qu’on ne voit point dans les autres localités de l’île. Si vous avez le courage de vous y aventurer vers les premiers jours de l’été, vous y trouverez en pleine fleur la petite rose sauvage, à tige basse et rampante, qui se plaît dans les parties les plus âpres de la Bretagne ; peut-être aussi ferez-vous sortir de son gîte un vieux lièvre, hôte de ces solitudes. Regardez-le bien, car c’est probablement le seul qui s’offrira à vous dans tout l’archipel, hors des enclos et des parcs interdits aux promeneurs.