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cargaisons de fruits sec, d’huile, de vin, en un mot, de ces denrées précieuses que l’on vend dans les îles, grace à l’absence de droits, presque aussi bon marché que dans les pays qui les produisent. Les oranges à Jersey ne sont guère plus rares que les pommes ; le sucre, le café, le thé, ces trois principaux item de la vie anglaise, y sont de la moitié et des deux tiers moins chers qu’en France. Quant aux subsistances proprement dites, la liberté de commerce permet à ces heureux insulaires de les prendre là où ils veulent ; au lieu de consommer eux-mêmes leurs produits, ils les vendent avantageusement en Angleterre et s’approvisionnent en France, où les denrées plus abondantes restent comparativement à bas prix De là vient que sur plusieurs points de nos côtes, dans les localités où l’on cherche à retenir les étrangers durant, la saison des bains de mer, on entend dire : Les îles de la Manche sont de pauvres rochers où les habitans mourraient de faim, si nous ne leur fournissions de quoi vivre. Il est vrai que l’archipel aurait peine à se suffire à lui-même surtout depuis que tant de familles anglaises y ont fixé leur résidence[1]. C’est donc une bonne fortune pour quelques-unes des villes de Normandie et de Bretagne que le voisinage d’îles assez peuplées et assez riches pour absorber des produits qui s’écouleraient difficilement dans le pays même. Cependant, en 1848, dans cette année où des préjugés grossiers obscurcissaient le plus vulgaire bon sens, les émeutiers de Saint-Malo s’opposèrent deux fois au départ des bœufs que chaque semaine on y embarque pour Jersey et Guernesey.

La liberté de commerce et la franchise des ports sont donc les premières causes de cette prospérité de l’archipel, dont la ville de Saint-Hélier offre l’image la plus complète. Ajoutons que les navires de ces îles, construits et approvisionnés à meilleur marché que ceux de l’Angleterre, exempts des droits de phare (light duties) sur les côtes du

  1. Du 10 octobre 1847 au 10 octobre 1848, il est sorti de Jersey, 1,272 navires chargés, jaugeant 71,983 tonneaux ; il en est entré 1,705, jaugeant 124,576 tonneaux : différence en faveur de l’importation, 52,593 tonneaux. Dans ces douze mois, les ports de Granville, Saint-Malo et Portrieux avaient fourni 3,891 boeufs, 11,618 moutons, 2,368 porcs, 1,116 veaux, 34,336 volailles vivantes. De son côté, l’île avait exporté en Angleterre 1,239 vaches et génisses. Les vaches de l’archipel, connues sous le nom de vaches d’Alderney (en français Auregny), jouissent dans la Grande-Bretagne d’une réputation extraordinaire. Comment se fait-il que le bétail, qui dégénère si rapidement dans toutes les petites îles du monde, se conserve si bien à Jersey ? Les états, pour empêcher toute fraude sur ce point, défendent absolument l’introduction de vaches étrangères, quelles qu’elles soient, sur le territoire qu’ils régissent. C’est, du reste, la seule prohibition qui pèse sur les produits du dehors. Le cidre de l’île est renommé en Angleterre à l’égal de celui de Bristol ; il en est expédié dans les bonnes années plus de 200,000 gallons. Remarquons en passant que le meilleur cidre des États-Unis se fait à Newark, dans le New-Jersey. Enfin, l’île vend encore à la Grande-Bretagne plus de 80,000 boisseaux d’huîtres provenant de banc de Gorey.