dont il n’a pas l’intelligence, l’animal politique de Swift se conforme volontairement à l’ordre qu’il a établi, encore qu’il sache bien qu’il en pourrait sortir, et il est autant libre pour assurer la liberté des autres que pour jouir de la sienne. Instinct ou raison, je doute qu’il y ait un genre d’esprit au monde qui vaille autant pour la politique, ni qu’aucun spéculatif, professant sans pratiquer, soit aussi utile à ses semblables que ce simple animal.
La première et la plus fréquente marque que l’Anglais donne de son intelligence politique, c’est de croire qu’il a tort quand il n’a l’as raison avec la majorité. Tant que dure la lutte, on se bat vaillamment et si personne n’excède son droit, personne non plus n’en use mollement. On va jusqu’à cette limite extrême où le droit de chacun est tout près d’incommoder celui du voisin, les corps mêmes s’en mêlent et, comme les Romains au Forum, les Anglais, dans un meeting, se coudoient d’un peu près ; mais enfin on s’arrête devant l’abus : un invincible respect pour la liberté d’autrui retient les plus passionnés ; la majorité vote et la minorité se courbe. L’estime reste intacte ; on sent que la soumission d’aujourd’hui assure d’avance l’obéissance de l’adversaire à la victoire de demain. Il ne se fait pas, après le vote, de calomnieuses statistiques des ignorans, des corrompus, des vendus de ’la majorité, par lesquelles le parti battu essaie de déshonorer la décision et de ruiner le principe de la majorité, la plus belle conquête des sociétés politiques, et, dans nos temps surtout, leur dernière ressource. La majorité, c’est la loi. On se soumet à la loi, on ne lui fait pas un procès scandaleux. Est-ce à dire que l’on change d’avis ? Chacun garde le sien pour la chance prochaine ; mais, en attendant, il obéit à la loi qu’il n’a point faite, et, s’il en est besoin, il prend le bâton de constable pour la défendre.
L’intelligence politique n’est pas d’ailleurs exclusivement la qualité d’une classe en Angleterre. Aristocratie, bourgeoisie, peuple l’animal politique se rencontre partout. J’ai eu quelques occasions de l’observer plus particulièrement dans les classes moyennes, et j’en puis indiquer, d’après nature, les traits principaux. La pratique des personnes me les a fait découvrir ; la bienveillance de quelques-unes m’a aidé à les mieux voir. Je dirai, parmi ce que j’en sais, ce qu’il peut-être utile d’en signaler.
On a raison de faire la plus belle part à l’aristocratie dans la bonne conduite du gouvernement anglais ; mais on y fait une trop petite part aux classes moyennes. La puissance de l’aristocratie anglaise diminue, non par sa faute, car elle n’a pas cessé de payer de sa personne sur les