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On peut trouver que les Anglais ont tort d’aimer la royauté pour la liberté, et la liberté plus que l’égalité, et qu’il est de mauvais goût d’être heureux contre les principes. On peut aussi leur prédire - et beaucoup le font en France, les uns par le doute universel où les jetés la vue de nos ruines, les autres par haine contre tout ce qui est debout, — on peut leur prédire que les heures de l’Angleterre sont comptées, et qu’elle n’en a pas pour long-temps à prospérer sous l’empire du privilège aristocratique. À la première réflexion, les Anglais pourraient répondre par notre proverbe : « Qu’il ne faut pas disputer des goûts et des couleurs, » et qu’en fait de bonheur, celui qu’on tient est de meilleur goût que celui après lequel on court. Quant à la mesure de durée de leur gouvernement, ils n’en perdent pas une heure à rêver à ce qu’ils deviendront et d’ailleurs la liberté anglaise est si solidement fondée sur l’esprit d’obéissance et de sacrifice, qu’elle saurait faire sortir de tout changement l’ordre et la prospérité, et qu’elle sauverait la nation des secousses du passage. Et s’il arrivait quelque jour que la monarchique Angleterre jugeât inutile la fonction de roi, je verrais sans inquiétude le majestueux navire, pourvu de ce double lest, s’aventurer même dans les orages de la république.


IV

Avant le roi, après Dieu et la liberté, ce que le peuple anglais aime le mieux, c’est son pays. Il peut sembler étrange qu’on note comme une qualité chez un peuple, l’amour de son pays. Cependant Bossuet, qui n’écrivait pas au hasard, le remarque expressément des Romains, et ne le remarque pas des Athéniens. C’est donc que cet amour y avait une énergie particulière. Bossuet n’entendait pas parler de l’instinct respectable et touchant qui attache l’homme à sa patrie, et qui fait pleurer l’exilé à la vue des rivages du pays natal, mais de cet amour intelligent du citoyen pour la cité, de l’homme libre pour le pays où il jouit de la liberté. Tel était l’amour de la patrie que Bossuet loue en si magnifiques termes chez le peuple romain, si semblable à l’Angleterre, par ce trait que, de toute l’antiquité, c’est le peuple qui a été le plus libre et qui a le plus obéi ; tel il est en Angleterre, et tel on le reconnaît en particulier chez les classes moyennes. Il y a plusieurs manières d’aimer son pays. Tel peuple est plus vain du sien qu’il ne lui est attaché. On s’y persuade que beaucoup de susceptibilité sur l’honneur national et beaucoup de dédain pour les étrangers, qu’un duel bravé pour prouver qu’il est le premier peuple du monde, que tout cela est du patriotisme. C’est seulement la preuve que ce peuple s’admire plus qu’il ne s’honore. Des coups d’épée échangés pour l’honneur du pays ne valent pas, pour nous servir de saintes paroles, un verre d’eau