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pour qu’elles soient plus prévoyantes. J’étais allé faire visite chez une de ces grandes familles si nombreuses en Angleterre où cet office de banquier des pauvres était rempli par les filles de la maison. Elles étaient quatre soeurs, quatre sœurs charmantes autour d’une mère de dix enfans. Je n’oublierai jamais ce type noble et touchant des grandes familles où la richesse, est venue du travail, ni la belle vieillesse du père, grave, simple, hospitalier, se reposant après une vie active, mais non agitée, où le soin de la fortune a été persévérant sans être âpre ; ni cette mère restée si jeune, qui paraissait la première amie de ses filles ; ni les caractères si divers de celles-ci, avec une ressemblance qui leur venait du même air de bonté : l’une plus réservée, ne voulant point attirer et pourtant ne gênant point, l’autre enjouée, rieuse, avec un fonds de sensibilité vraie qui perçait sous son rire facile ; les deux autres, plus près de l’adolescence, celle-ci éprise d”études sérieuses et y réussissant, mais ne voulant pas qu’on le sût ; celle-là, la plus jeune, spirituelle, heureuse, souriante, dont l’aimable visage trahissait l’espérance prochaine d’une union avec celui que ses parens lui avaient permis d’aimer. Maison vraiment bénie, où la richesse est bien supportée, parce qu’elle a été bien acquise ; aimable famille, vraiment digne d’exercer le genre de charité le plus délicat, la charité qui laisse au pauvre tout le mérite du secours qu’il a reçu !

Le père m’avait emmené dans sa bibliothèque, — il savait mon faible, — la plus belle pièce après le salon de famille et la plus fréquentée, ce qui est à noter chez un homme retiré du négoce. J’admirais, non sans envie, sous leurs belles et solides reliures ; un bon choix d’ouvrages de politique, de législation ; d’histoire, enfin les livres de l’animal politique jusqu’au luxe. En fait de littérature, il n’y avait que les grands noms, le nécessaire. En sortant de là pour suivre mon hôte dans le parc, je vis sur la pelouse, devant la maison les quatre sœurs assises au milieu de pièces d’étoffe, de cotonnades, de flanelles étendues sur le gazon. — Quelle est cette exposition ? demandai-je à la plus enjouée. — Ce sont, me dit-elle, des objets d’hiver pour nos jeunes ouvrières. On les étend au soleil pour les préserver des insectes. Vous voyez, là le fruit de quelques pennys que ces filles mettent de côté par semaine, et que nous nous chargeons de faire valoir. — Quoi ! m’écriai-je avec si peu vous faites tant de choses ! – Elles le croient, me dit-elle avec un charmant sourire, et nous nous gardons bien de les détromper. C’est assez pour nous qu’elles pensent avoir fait un bon placement. »

De tout ce que j’ai cru voir de l’état moral de l’Angleterre, rien ne m’a plus frappé que cette attention donnée aux petits. J’avais apporté dans ce pays ma part de la préoccupation universelle de notre époque. sur ce que les sociétés ont à faire dans l’intérêt des classes ouvrières. Je