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BELLAH.

le cœur dit non. Permettez-moi d’offrir au fils du comte de Pelven l’hospitalité pour la nuit.

Hervé fut surpris et offensé de l’accent amer et hautain qui marquait ces paroles.

— Monsieur, dit-il, j’ai à vous demander la même faveur pour mon lieutenant et pour mes soldats.

— Et ces messieurs sauront la prendre, n’est-ce pas, en cas de refus ?

— De grâce, monsieur…

— C’est au reste, interrompit le marquis en haussant le ton, ce que je suis curieux de voir. J’ai fait serment de ne jamais laisser pénétrer sous mon toit, moi vivant, aucun des égorgeurs de votre prétendue république, et c’est assez que je manque à mon serment pour le fils de votre père.

À cette déclamation provoquant, un murmure de colère éclata dans les rangs des grenadiers. Hervé leur imposa silence de la main, et se retournant vers le marquis :

— Et puis-je vous demander, monsieur, ditril, si vous avez fait ce serment le jour même où vous avez signé un traité avec nos représentans et accepté l’amnistie de notre prétendue république ?

— Non ! s’écria avec force M. de Kergant ; mais je l’avais fait le jour où vous avez teint vos drapeaux dans le sang de votre roi, et je l’ai renouvelé le jour où j’ai su l’état qu’on devait faire de votre parole, — hier même, en apprenant que vous aviez lâchement étouffé dans sa prison le fils du martyr ! Il n’y a plus de traités, il n’y a plus de paix. Assez. Entrez, citoyen Hervé, et ne craignez rien ; mais n’en demandez pas plus.

— Vous ne pouvez sérieusement me croire capable de subir une pareille hospitalité, dit Hervé avec un sourire dont la tranquille politesse fit monter la rougeur au front du vieux gentilhomme. Puisque je suis sur une terre ennemie, je sais comment un soldat y passe la nuit. Venez, mes enfans, nous bivouaquerons ensemble.

Les grenadiers répondirent par une acclamation et suivirent le jeune homme, qui s’éloignait du château à pas précipités.— Mon commandant, dit Bruidoux, il ne serait pas si fier s’il n’avait dans ses caves quelques douzaines de chouans. C’est égal, dites un mot, et nous verrons qui est-ce qui couchera dehors cette nuit.

— Non, répondit Hervé ; ]ils diraient encore que nous violons les traités. Je ne suis pas fâché d’ailleurs de la réception ; elle m’épargne… Mais qui donc nous suit là ? Ah ! c’est vous, Kado ? Eh bien ! mon ami, faites-moi un plaisir : prenez soin de nos chevaux. Je suppose que les pauvres bêtes ne sont pas comprises dans le serment.

— Cela sera fait, monsieur. Ne voulez-vous rien de plus ?