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près régulier dont chaque côté était fermé par une haute tourelle à toit pointu. Les fondemens plongeaient dans des fossés pleins d’eau ; mais un pont permanent remplaçait le pont-levis et donnait accès sous la porte principale. La petite chapelle dont la cloche venait de retentir s’élevait, à droite du château, sur un monticule dont les pentes étaient tapissées de gazon. Plusieurs bâtimens, servant de fermes et d’écuries, contribuaient, avec la chapelle, à encadrer l’espace qui s’étendait devant la façade du manoir et qui tenait lieu de cour. Au milieu de cet espace, des domestiques portant des flambeaux écoutaient avec respect les ordres que leur donnait un homme dont l’âge avait blanchi les cheveux sans pouvoir fléchir sa haute taille, sans détendre les muscles de son mâle et rigide visage. Le marquis de Kergant était vêtu uniformément de noir ; il avait le bras enveloppé d’un crêpe, et un pareil symbole de deuil était attaché à la poignée du couteau de chasse qui pendait à son côté. Andrée et Bellah descendirent de cheval en même temps, et le marquis les serra toutes deux à la fois sur son cœur. La chanoinesse s’approcha ensuite et se jeta dans les bras de son frère, puis elle lui parla un moment à voix basse. Le vieux seigneur s’avança alors vers la soubrette écossaise et lui montra le château de la main en s’inclinant avec une politesse cérémonieuse. La fille des Mac-Grégor prit le bras de la chanoinesse et se dirigea vers l’entrée du château. — Suivez-les, mes filles, dit le marquis ; vous devez être mortes de fatigue.

— Pardon, mon père, interrompit Andrée d’un ton suppliant, mais nous ne sommes pas venues seules, il y a quelqu’un… mon Dieu.’… quelqu’un…

— Allez, mon enfant, reprit le marquis. La chambre de votre frère est prête.

Andrée porta vivement à ses lèvres la main de son père adoptif, h mouilla de ses larmes et se retira avec son amie. M. de Kergant suivit les jeunes filles jusqu’au pont qui était jeté sur les fossés. Là il s’arrêta, fit ranger ses gens derrière lui et attendit.

En ce moment, le détachement républicain entrait dans la cour du château. Hervé mit pied à terre et s’avança vers le marquis avec une émotion dont il avait peine à se rendre maître. Francis et les soldais l’accompagnaient à une petite distance. Arrivé devant la porte, il se découvrit et salua profondément le vieillard.

— Monsieur, dit le marquis de Kergant en lui rendant son salut. recevez mes remerciemens.

— Je souhaite, monsieur, répliqua Hervé, qu’ils me soient adressés d’aussi bon cœur que je voudrais les mériter.

— Soyez sûr, citoyen commandant, puisque c’est votre titre, reprit le marquis, que je ne suis pas de ceux dont la bouche dit oui quand