Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/1015

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
1009
BELLAH.

garde-chasse leur offrit son aide pour allumer du feu, échangea une poignée de main avec le sergent, et se retira en promettant à Hervé et à Francis de leur amener leurs montures au bas de la lande, le lendemain dès la pointe du jour.

Après le souper, les grenadiers se choisirent leurs couches à l’abri des voûtes druidiques, et chacun s’endormit en paix sous ces pierres où la rouille des siècles recouvrait une rouille de sang humain. Francis lui-même céda tout doucement au sommeil à l’entrée d’une de ces grossières galeries dont nous avons parlé, pendant que Hervé lui contait qu’il avait vu autrefois des vieillards prier traditionnellement sur ces reliques du culte de leurs ancêtres. Le jeune commandant sourit en voyant qu’il avait perdu son public ; il arrangea avec un soin paternel les plis du manteau que Francis avait laissé ouvert dans la surprise de son sommeil, et s’éloigna en donnant un soupir de regret à l’âge où les paupières se ferment par ces enchante mens imprévus.

Après avoir fait quelques pas autour de l’enceinte autrefois sacrée, Hervé s’assit sur une des tables qui s’élevaient ça et là. Ce lieu gardait encore dans la mémoire des habitans du pays un vague reflet de son caractère antique. L’incertitude de la crainte ou du respect, tantôt les éloignait de la lande comme d’une place maudite, tantôt les prosternait, les douces prières de l’Évangile sur les lèvres, au pied de ces autels impitoyables. Ce sentiment de curiosité superstitieuse qui a tant de pouvoir sur l’enfance, et dont l’esprit de l’homme ne s’affranchit jamais tout-à-fait, avait marqué ce lieu parmi les souvenirs les plus vifs des premières années de Hervé. Tout enfant, l’esprit imbu des légendes du coin du feu, il avait été attiré sur la lande aux Pierres par cette volupté de la peur que nous recherchons comme les émanations enivrantes de certains poisons dont une trop forte dose nous devient mortelle. Il se souvenait de s’être engagé un soir sous la sombre voûte d’une galerie couverte ; comme la nuit était tombée sans qu’il fût rentré au château, on se mit en quête et on le trouva évanoui au milieu de la galerie, comme s’il eût rencontré tout à coup face à face l’horreur du dieu que les anciens prêtres allaient chercher en rampant au fond de ces temples, faits comme des repaires.

La jeune Bellah, dont le naturel songeur et le penchant d’esprit devaient être vivement sollicités par l’attrait de ce site romanesque, accompagnait souvent Hervé sur la montagne druidique. Quand la nuit venait peupler d’ombres douteuses cette morne cité de pierres, la jeune fille alarmée faisait appel à l’âge et à l’expérience de son frère adoptif, et ce charme de la protection donnée et reçue avait été pour eux comme le pressentiment d’une affection plus tendre et le premier anneau d’une chaîne plus étroite. C’était là que leurs jeunes imaginations aimaient à évoquer les traditions gracieuses ou terribles de la