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BELLAH.

— Doutez-vous de ma parole, monsieur ? dit Bellah avec l’accent d’un amer dédain.

— Je doute de votre parole, oui ! s’écria Hervé dans un transport subit de colère qui touchait à la violence, je doute de votre parole ! je doute de votre voix même… je doute de ces lèvres glacées et des mots étranges qu’elles prononcent ! Qui êtes-vous ? que me voulez-vous ? qu’êtes-vous venue faire ici ? qui vous a envoyée ? Ici, à cette place même, avoir choisi cette place pour m’accabler ! Par le ciel ! c’est un courage inoui ! c’est une cruauté qui dépasse la pensée d’un homme ! Retirez-vous !

À l’éclat soudain de cet orage, la résolution de la jeune fille parut s’être brisée, et ce fut d’une voix faible et basse, comme celle d’un enfant soumis, qu’elle répondit : — Mon Dieu ! Hervé, je m’en vais. — Mais, au lieu de s’éloigner, elle s’appuya sur l’autel de pierre et posa ses deux mains sur son cœur pour en comprimer les battemens.

— Bellah, reprit Hervé avec douceur, pardonnez-moi ; mais vous avez comblé la mesure de mes chagrins. Daignez vous retirer. Vous laissez ici un homme dont l’ame ne peut contenir une douleur de plus. Votre tâche est faite ; adieu.

— Oh ! pas encore, pas ainsi, Hervé ! Je suis venue… j’espérais… oui, j’espérais être protégée, en ce lieu au moins, par vos souvenirs. Quelles qu’aient été pour vous les deux longues années qui nous en séparent…

— Elles ont été telles, interrompit Hervé, que je les donnerais, et toutes celles qui suivront, pour une heure du temps passé.

— Oh ! que Dieu soit mille fois béni, s’il en est ainsi ! Ce temps peut revenir, Hervé. Vous pouvez rentrer dans cette famille qui est la nôtre à tous deux, retrouver un père, des sœurs, nous retrouver tous, mon frère ! Vous le pouvez. Le voulez-vous ?

— Si j’espérais seulement que cela devînt possible un jour ! dit le jeune homme en secouant tristement la tête.

— Ce jour est venu, reprit vivement Bellah. Écoutez, Hervé, la guerre va recommencer ; je pourrais vous dire,… j’aurais des raisons positives pour vous affirmer que notre cause triomphera… Mais peu vous importe, je le sais… Cette cause est celle de vos pères, des malheureux, c’est la cause de Dieu ! Vous avez pu vous y tromper, Hervé… mais maintenant vos yeux sont ouverts… Il est impossible qu’ils ne le soient pas… Oh ! comme nous vous aimerons, Hervé !… C’est notre rêve, à tous. Mon père a déjà ses projets ambitieux pour vous. Il veut que l’on rende justice à vos talens et à votre courage, et cette justice, vous l’obtiendrez, n’en doutez pas. S’il vous en faut des preuves, Hervé, tenez. — En prononçant ces mots, elle tira de son sein un pli qu’elle mit dans la main du jeune homme ; mais celui-ci, le jetant aus-