Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/1026

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
1020
REVUE DES DEUX MONDES.

sud du Finistère ; l’ouest, y compris cette fois la Normandie, n’attend que ce chef tant de fois promis pour se soulever en masse. »

Le général, pendant cette lecture, était demeuré immobile, tous ses traits exprimant la stupeur. — Est-ce vrai ? est-ce clair ? ajouta le représentant en lui montrant la lettre. — Le jeune homme la parcourut rapidement ; une sorte de gémissement s’échappa de sa poitrine^ il se laissa tomber sur le canapé, et resta quelque temps le front dans sa main, absorbé dans de douloureuses pensées.

L’unique témoin de cette angoisse n’était pas d’un caractère qui pût l’aire espérer quelque sympathie pour une faiblesse humaine, si généreuse qu’en fût la source : on pouvait même soupçonner unsecretsentiment de triomphe dans le regard douteux avec lequel il contemplait l’accablement du jeune général républicain.

— Ce qui te surprendra, reprit-il, c’est le degré d’audace où s’aventure ton ci-devant ami. Au lieu de rester sagement près de celui qu’il a si bien sérvf, on m’assure qu’il revient près de toi pour continuer par l’espionnage ce qu’il a commencé par la trahison.

— Espion ! Pelven ! murmura le général, comme si l’accouplement de ces deux mots eût présenté à son esprit une énigme indéchiffrable.

— Il faut avant tout, citoyen général, continua le conventionnel, que justice soit faite.

Le général fit attendre quelques instans sa réponse ; puis enfin, relevant la tête, et comme sortant d’une profonde méditation, il dit : — C’est bien, citoyen représentant du peuple, elle le sera.

— Je vais attendre le retour de ce Pelven ; tu me donneras une escorte suffisante pour le conduire à Rennes, où je veux l’interroger devant mes collègues. — Après quoi, il sera jugé révolutionnairement.

— Je te dis, citoyen, que justice sera faite ; tu m’entends.

— Nullement, répondit le représentant avec l’air d’une vive surprise. Dois-je comprendre que tu refuses de livrer ce grand coupable à la vindicte de la nation ?

— Je tiens de la nation tout le pouvoir qu’il faut pour la servir et la venger ! je n’ai besoin d’en emprunter à personne.

Le général parlait avec un accent réfléchi et une décision tranquille qui réussirent à troubler le sang-froid du conventionnel.

— Jeune homme, s’écria-t-il avec violence, j’ai beaucoup souffert de toi, beaucoup plus que mon caractère et mon devoir ne pouvaient le faire attendre ; mais voilà qui dépasse toute mesure et toute patience ! Oublies-tu qui je suis ? oublies-tu que si j’ouvre cette fenêtre, si je prononce deux paroles, je te fais arracher tes épaulettes par tes propres soldats ?