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BELLAH.

— Essaie, dit le général, qui, ayant pris une fois sa résolution, paraissait se complaire dans sa récente et dangereuse indépendance.

— C’est de la démence ! murmura le représentant, tout près de voir, en effet, un acte dénué de toute raison dans ce défi jeté à son terrible pouvoir.

— C’est simplement, reprit le général sur le même ton de calme extraordinaire, c’est simplement une épreuve que je tente. L’un de nous deux, citoyen, est de trop dans la confiance de la nation. Il s’agit île savoir lequel. L’occasion s’en présente, et je la saisis. Puisque cette guerre immense, effrayante, s’allume de nouveau, ce n’est pas moi qui essaierai de l’éteindre, si l’on ne m’ôte du pied d’abord cette chaîne cie fer que vous y attachez, si je dois voir encore tous mes mouvemens contrôlés par une outrageante inquisition, mes intentions suspectées par le fanatisme, mes plans contrariés par l’ignorance.

— Est-co ainsi ? reprit le conventionnel. Eh bien donc ! malheur à toi, ou sinon, — sinon, malheur à la république !

— La république ! répondit le jeune homme, dont un éclair d’enthousiasme illumina le front superbe, elle est ma mère : je lui dois tout, je l’aime avec passion, je l’ai prouvé, et je le prouverai encore, s’il plaît à Dieu ; mais cette république n’est pas la vôtre. L’image que j’en porte gravée dans le cœur n’est pas celle que vous avez intronisée face à face avec l’échafaud sur nos places terrifiées ! Je voudrais, au prix de ma vie, arracher de l’histoire la page de deuil, la page de sang que vous y avez cousue sous ce titre sacré. Les générations futures ne vous pardonneront pas d’avoir rendu néfaste, dans la mémoire du monde, ce grand nom de république, le dernier mot de leurs espérances. Elles vous accuseront d’avoir légué, par vos fureurs, un éternel prétexte aux lâches, une excuse éternelle aux tyrans. — Laisse-moi achever. Aussi bien, tu n’as rien à m’apprendre ; je sais de quels argumens vous avez coutume de soutenir vos effrayans vertiges. Je ne prétends pas discuter avec toi. Interroge seulement mes soldats ; demande-leur s’ils avaient besoin pour vaincre d’entendre derrière eux les bruits sinistres dont vous emplissiez la patrie. Et quant aux ennemis de l’intérieur, avant que vos cruautés en eussent centuplé le nombre, le contre-coup de nos victoires eût suffi à leur courber la tête. L’inhumanité n’est point la force, la haine n’est point la justice, la république n’est pas la terreur ! J’ai confessé ma foi sous la hache de tes amis toutrpuissans ; j’ai été l’hôte de leurs cachots. Si je n’en suis sorti que pour subir la férule du dernier d’entre eux, il est temps de m’en rouvrir les portes. — Pars maintenant, va me dénoncer : le comité jugera entre nous ; mais, crois-moi, citoyen, pas d’épreuve imprudente de ton pouvoir ; tu peux comprendre que ma patience est à bout comme