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des meneurs de village. Il ne manque aux États-Unis, pas plus qu’ailleurs, de capacités déclassées ou incomprises et d’avocats sans causes, ce fléau de tous les temps et de tous les pays. Ces deux sortes d’hommes sont invariablement dans chaque localité les agens des partis, parce qu’ils peuvent donner leur temps, c’est-à-dire la chose dont les Américains sont le plus avares. Il y a dans chaque commune un comité permanent, annuellement rééligible, chargé de correspondre avec les autres comités du parti. Les courtiers politiques s’introduisent dans ces comités : ils enrégimentent les habitans de leur circonscription, ils réchauffent les tièdes, ils recrutent les indécis, afin de mener au combat une phalange compacte ; et, en attendant que la victoire électorale leur donne une des charges municipales, ils vivent sur les cotisations par lesquelles les citoyens du parti subviennent aux dépenses du comité, au loyer de son local, à l’entretien des bannières, aux frais de musique, de pétards et de salves d’artillerie les jours de manifestations. Dans les grandes villes, les cotisations des partis produisent de très fortes sommes, parce qu’il faut faire face à des dépenses considérables. À New-York, le comité permanent des démocrates est propriétaire d’un immense édifice, appelé Tammany-Hall, où se tiennent les réunions générales ; la salle principale peut contenir plusieurs milliers de personnes. Le comité a sous ses ordres un grand nombre d’employés, et un orchestre qui, dans les réunions publiques, exécute des airs démocratiques entre chaque discours. Lorsqu’un personnage important du parti vient à New-York, on ne manque jamais d’organiser une procession en son honneur. Plusieurs milliers de démocrates, divisés en colonnes ayant chacune à leur tête un corps de musique, précédés et suivis de canons qu’on décharge par intervalles, vont chercher à Tammany-Hall les bannières du parti, et se portent sous les fenêtres de l’hôte de la ville. Une sérénade lui est donnée, et trois formidables hourrahs en son honneur ébranlent toutes les vitres. Il paraît alors au balcon, et prononce un discours que ceux qui n’entendent pas applaudissent de confiance. Le cortége défile ensuite pendant plusieurs heures, et va faire le tour de la ville avant de rentrer à Tammany-Hall, où les chefs félicitent leurs soldats de l’enthousiasme qu’ils ont montré et du bon ordre qu’ils ont su garder. Les whigs à l’occasion ne manquent pas d’en faire autant pour leurs coryphées.

Cette organisation quasi-militaire des partis aux États-Unis explique seule leur admirable discipline. C’est cet immense état-major, embrassant depuis les grandes villes jusqu’aux moindres villages, qui leur permet d’agir avec une si grande rapidité, un ensemble et un ordre si merveilleux. L’inconvénient est que les deux états-majors vivent aux dépens de la communauté. Nous touchons ici à l’une des plus grandes plaies des États-Unis. L’état de choses que nous décrivons, en déterminant