Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/1050

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nil débordé de toutes parts prit les proportions d’une mer. Les sables étaient submergés ; les flots plus profonds, battus par la brise, écumaient contre les palmiers baignés jusqu’à la cime. Il n’y avait plus pour les barques de route précise ; elles coupaient au plus court, loin de la pointe dont les basses eaux les forçaient auparavant de se rapprocher. Les buffles, animaux presque amphibies, se trouvaient à merveille de ces inondations qui formaient dans la plaine des lacs et des marais ; mais le pauvre Ismaël se voyait doublement délaissé, seul sur un rivage déserté par les navigateurs. Rien ne l’attachait plus à ce promontoire : aussi, quand le Nil rentré dans son lit lui permit de faire route, il prit congé du maître de la ferme.

Où allait-il ? Au Caire ; d’abord parce qu’il avait plus de chances de trouver à vivre dans une grande ville, et puis pour une autre raison qu’il ne s’avouait qu’à demi.


IV. – L’ÂNIER.

« Qui n’a pas vu le Caire n’a rien vu, dit quelque part un personnage des Mille et une Nuits ; son sol est d’or, son ciel est un prodige !… Le Caire est la capitale du monde ! » Dans ces paroles de l’écrivain arabe, il faut faire la part de l’emphase et de l’exagération. Cependant il serait difficile de trouver, même en Asie, une ville plus riche que la capitale de l’Égypte en monumens du meilleur style mauresque. Quelle cité musulmane offre à l’œil ébloui une plus grande variété de mosquées et de minarets, une pareille profusion de portiques et de coupoles ? Est-il dans tout l’Orient une capitale qui puisse se vanter d’être assise sur les bords d’un fleuve à la fois plus célèbre et plus majestueux ? C’est à nous, habitans des latitudes froides, que son ciel doit paraître un prodige ! Quant à son sol, il n’est pas d’or ; mais bien de sable et de terre grise ; aussi, lorsque les dromadaires, les chameaux et les ânes débouchent au trot sur une grande place coupée comme une clairière dans cette forêt de maisons, où se précipitent pêle-mêle avec les porte-faix chargés dans les rues étroites et tortueuses, quels tourbillons de poussière ! Ajoutez à cela des cavaliers qui passent rapides comme l’éclair, fiers de leurs yataghans recourbés, de leurs selles de velours rouge, se redressant sur leurs larges étriers et laissant flotter au gré du vent leurs vestes chamarrées d’or. À les voir galoper comme des furieux à travers la foule, on se rappelle le vers d’un poète persan : « La source du soleil est obscurcie par la poudre que font voler leurs coursiers pleins de colère et d’ardeur ! »

On conçoit qu’Ismaël, au sortir des tranquilles pâturages où il menait paître ses buffles, dut se sentir étourdi en abordant une ville pareille ; il n’avait jamais vu due les petits ports des environs de Rosette.