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— Tu mens, cria Ismaël d’une voix terrible ; tu les as volées à un marchand égyptien qui t’a prêté de l’argent : ton nom est Ali-Agha ; tu les as volées !

L’aïta laissa tomber sa tête sur le bord du navire comme un homme qui attend le coup de la mort. — Enfans, dit le nakoda Ismaël à ses matelots, préparez les ancres ! — Ils obéirent cette fois avec la docilité de gens qui ont quelque peccadille à se faire pardonner. — Maintenant, jetez à l’eau le corps de ce mutin qui tache le tillac de son sang, et puis mettez aux fers ce Turc qui a trahi l’hospitalité !

Deux jours après cette scène, le navire prenait sa place dans la rade de Bombay. Ismaël rendit la liberté à l’aïta, et, l’ayant conduit lui-même à terre : — Va au diable, lui dit-il ; te voilà dans une contrée où règnent les Franguis ; ceux-là pendent les voleurs, les assassins et les traîtres ; ainsi prends, garde à toi ! — Quant à lui, il vendit son bagglow, et revint à Moka sur un navire étranger : après ce qui s’était passé à bord, il n’osait plus confier à son équipage et sa fortune et sa propre personne. En débarquant, il alla voir son ami le marchand égyptien.

— Eh bien ! lui, dit-il, as-tu retrouvé ton voleur ?

— Hélas ! Non, répliqua tristement celui-ci.

— Ali-Agha, ce brave homme point fier, a donc échoué dans ses recherches ? — Et, comme son ami ne répondait pas : — Tiens, ajouta-t-il, j’ai été plus heureux que lui. Voici quatre perles que le hasard m’a lait rencontrer ; si elles pouvaient remplacer celles que tu as perdues ?

Le marchand les regarda de cet œil expérimenté du berger qui reconnaît sa brebis entre mille ; puis il remit à Ismaël la somme promise à celui qui les lui rapporterait.

— Merci, dit le nakoda ; j’ai bien gagné tes sequins ; mais tout est bien, qui finit bien ; je dis adieu à la mer, et retourne aux bords du Nil.


VI. – LE REIS.

Le turban de mousseline blanche, le cafetan brun et la ceinture remplie de sequins, ces trois choses ardemment désirées, Ismaël les possédait enfin ; de plus, il avait la satisfaction de les devoir à son travail, à sa persévérance et à son courage. Le hasard voulut que l’âne sur lequel il revint de Suez au Caire fût conduit par ce grand garçon qui l’avait jadis reçu lui-même dans la confrérie des âniers. Il ne paraissait pas que le fellah eût fait fortune : Ismaël, l’ayant reconnu, lui dit avec bonté : — Mon ami, tu dois être bien ennuyé de courir sur le sable derrière ta bête depuis si long-temps.