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échange de cette protection, les abolitionistes, à toutes les élections, votaient avec les whigs. En 1844, pour la première fois, il n’en fut plus ainsi.

La division s’était mise parmi les abolitionistes ; les plus ardens se laissaient entraîner par le célèbre Garrison jusqu’à déclarer la constitution des États-Unis immorale et antichrétienne, parce qu’elle autorise l’esclavage, jusqu’à refuser de lui prêter serment et jusqu’à renoncer à tous les droits qu’elle confère, excepté au droit de pétition, qui est un droit naturel. C’est cette fraction des abolitionistes qui adresse tous les ans au congrès une pétition pour demander l’abolition immédiate et sans indemnité de l’esclavage dans toute l’étendue de l’Union, pétition qui n’est même pas lue, comme étant inconstitutionnelle. À partir de 1844, ces abolitionistes ont cessé de voter dans les élections. Le noyau le plus considérable des abolitionistes était dans de tout autres idées : il comprenait que vouloir abolir l’esclavage dans la moitié de l’Union et malgré plusieurs millions de citoyens, c’était entreprendre l’impossible ; c’était aller droit au déchirement de l’Union et à la guerre civile. Il fallait donc restreindre ses efforts à empêcher l’esclavage de s’étendre là où il n’a point pénétré, à le contenir dans ses limites actuelles, et laisser au temps et à la concurrence du travail libre le soin de détruire l’esclavage dans les états mêmes où il est le plus enraciné. L’accroissement rapide des états libres leur assure une majorité incontestable dans la chambre des représentans et une majorité prochaine dans le sénat : en s’emparant des états libres, on avait tous les moyens constitutionnels nécessaires pour mettre un obstacle efficace aux développemens de l’esclavage. Il fallait donc faire appel à l’opinion publique et donner signe de vie et de force. Or, les abolitionistes se sentaient assez nombreux dans les états du nord pour y tenir déjà la balance du pouvoir et pour donner la supériorité au parti avec lequel ils votaient. Ainsi d’ans l’état du Maine, qui passait pour démocratique, ils avaient, en 1840, donné la majorité aux whigs en faisant cause commune avec eux ; en 1844, ils la leur avaient fait perdre en votant à part. Le temps était donc venu de constater sa force par une épreuve publique, d’avoir son drapeau particulier et de se constituer en parti indépendant, il fut résolu qu’on ne voterait pour aucun des candidats des grands partis, ni pour M. Polk, ni pour M. Clay, parce qu’ils étaient tous deux propriétaires d’esclaves, et qu’un candidat aholitioniste, M. Birney, serait porté concurremment avec eux. Ce candidat eut environ cent soixante mille voix, dont quinze à vingt mille dans le New-York et dix mille dans la Pensylvanie ; mais cette défection suffit pour assurer la défaite de M. Clay, qui eut à New-York six mille voix et dans la Pensylvvanie trois mille voix de minorité.

L’importance de l’opinion abolitioniste était incontestable après l’influence