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Russie, qui, au temps de Pierre-le-Grand et de Catherine, ne parlait encore que de l’affranchissement du christianisme en Turquie, serait destinée à absorber dans son sein non-seulement toutes les églises, mais toute la race slave depuis Saint-Pétersbourg jusqu’à Constantinople et Venise, et à jeter sur ce colossal territoire les fondemens d’une civilisation nouvelle.

On ne peut nier que la Russie n’ait trouvé au dehors, comme au dedans, des hommes de bonne volonté pour être les intermédiaires de sa pensée. Il serait facile de désigner les prêtres grecs ou les poètes panslavistes qui, en Turquie et en Autriche, ont pris ouvertement le parti du czarisme. En Bulgarie, les chefs du clergé, choisis imprudemment par les Turcs dans les monastères qui relèvent du Mont-Athos et des saints-lieux protégés spécialement par la Russie, ne sont pour la plupart que de complaisans serviteurs de l’église russe. Le siége apostolique et patriarcal n’est plus pour eux à Constantinople, mais en réalité à Saint-Pétersbourg, d’où ils ne cessent de recevoir des encouragemens.

En Servie, le haut clergé, étant de race serbe comme les simples popes, a conservé à l’égard du czarisme plus d’indépendance : il écoute les flatteries de l’église russe, il reçoit même les cadeaux du chef de cette église, mais sans y répondre autrement que par des politesses très dignes et très réservées. En revanche, dans les principautés de la rive gauche du Danube, une partie du clergé supérieur et les nombreux monastères dont les revenus immenses appartiennent aux saints lieux sont souvent, comme les évêques bulgares, les instrumens dociles de l’église russe. Est-il besoin d’ajouter que, pour être plus sûr d’exercer librement son influence sur le clergé orthodoxe de la Turquie, le czar s’est étudié avec succès à gagner les bonnes graces de ce même patriarche de Constantinople, aujourd’hui son vassal après avoir été autrefois le chef de l’église d’Orient ? Si, par exception, tel ou tel patriarche montre à la diplomatie russe quelque sentiment de défiance ou de crainte, ou annonce l’intention d’être le fidèle sujet de la Porte, bientôt il est circonvenu, et bien rarement il ose résister. Voilà les hommes dont le czar dispose en Orient comme chef de l’église russe ; voici ceux qu’il domine comme chef du plus vaste des états slaves. Ce sont en général des ambitieux politiques qui, pour faire leur chemin, ont besoin d’une influence étrangère, ou des écrivains pourvus de plus d’imagination que de raison et susceptibles de se laisser éblouir par l’éclat et l’ampleur des mots. La demi-indépendance dont jouissent les principautés du Danube a donné une assez grande liberté au jeu des partis et aux manifestations de la pensée. Ces petits états sont devenus pour la Russie un terrain très favorable. Les consulats-généraux de Buccarest et de Belgrade sont en quelque manière le siège de