Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/1125

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

entièrement leur église, pour échapper dans l’avenir à cette suprématie, ont contribué récemment de toute leur influence à l’érection du patriarcat de Carlowicz dans la Servie autrichienne.

Loin donc que les églises grecques des principautés du Danube soient disposées à s’absorber dans l’unité à laquelle aspire l’église russe, elles ne songent qu’à se renfermer de plus en plus en elles-mêmes, à s’allier plus étroitement à la pensée du pays, à s’isoler dans le sentiment de l’autonomie de chaque nationalité. Ce sentiment domine, en effet, les idées. Si la diplomatie russe est quelquefois victorieuse sur le terrain de l’administration, les idées échappent presque toujours à son influence et souvent lui sont hautement hostiles. Quoique défendu par quelques écrivains de talent, le panslavisme n’a pas jeté de grandes racines dans les principautés du Danube. On sait que les deux principautés de la rive gauche appartiennent à une race qui n’a rien de commun avec les Slaves. Les mots slaves introduits dans leur idiome par le voisinage des Slaves et par la liturgie de leur église, qui fut primitivement en langue slavone, ne suffisent pas pour infirmer cette croyance d’ailleurs profondément enracinée dans leurs esprits. Aussi le panslavisme leur est-il plus que suspect. Cette vaste prétention à l’unité qui ne pourrait se réaliser sans les englober leur inspire des craintes et une répulsion instinctive qu’elles ne dissimulent point. Tout ce qui peut les éloigner de cette doctrine, les Moldo-Valaques le recherchent avec ardeur. Il est des écrivains qui ont poussé cette ardeur jusqu’à frapper d’interdit et de proscription les mots slaves qui se rencontrent dans la langue de leur pays. Chez les Serbes, la défiance que le panslavisme provoque n’a pas les mêmes causes. Les Serbes se reconnaissent pour des Slaves, et il y a dans cette race peu de tribus qui soient aussi fières de cette origine. Il n’y en a point, pourrions-nous ajouter, qui ait plus religieusement conservé l’esprit slave ; il est là tout entier, depuis des siècles, comme en réserve. C’est là qu’il le faut étudier, si l’on veut le comprendre. Or, l’une des conséquences de cette pureté des traditions slaves en Servie, c’est une forte tendance à la décentralisation, et en même temps un goût essentiel pour une certaine forme de démocratie quasi-patriarcale. Comment ce besoin d’indépendance et de liberté qui constitue l’esprit public s’accorderait-il avec l’idée du panslavisme officiel ? Les Serbes sont entrés de bon cœur dans le mouvement simultané des peuples slaves ; mais, comme les Polonais et les Tchèques, ils n’ont vu dans cette unité d’action qu’un moyen et non un but. Ils veulent bien se concerter pour le progrès de la commune civilisation, ils consentent même à se rapprocher des Bulgares, des Bosniaques et de tous les Illyriens d’Autriche, qui appartiennent à la famille serbe ; mais ils répugnent naturellement et vivement à toute idée d’unité slave, qui leur enlèverait leur individualité historique, leur autonomie locale.