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élément abonde dans certaines dépositions, signées de noms célèbres, et qui ont dû parfois faire sourire les membres de la commission d’enquête. Singulier temps que celui où nos poètes dramatiques, interrogés sur les moyens de ramener la prospérité des théâtres, donnent envie de penser, que le problème serait résolu, si leurs pièces étaient aussi plaisantes qu’ils le sont eux-mêmes !

Il s’agissait de déterminer s’il est utile ou nuisible que les théâtres jouissent sans limites d’une double liberté, industrielle et morale ; qu’ils puissent se multiplier à l’infini, et jouer, sans autre contrôle que celui du public, tout ce qui leur paraîtra de nature à attirer la foule et à piquer la curiosité. Nous avouons ne pas comprendre comment le plus léger doute peut planer encore sur ces deux questions. La multiplication indéfinie des théâtres ne saurait qu’être également funeste aux nouveaux et aux anciens. Ceux qui existent pensent à peine se soutenir, et la décadence théâtrale a commencé avec cet accroissement numérique, beaucoup trop favorisé par les divers gouvernemens qui se sont succédé en France depuis vingt années. Le nombre des spectateurs n’augmentant pas en proportion, les acteurs excellens étant toujours fort rares, les prétentions de ceux-ci grandissent à mesure que le chiffre de ceux-là diminue double condition d’une ruine rapide et certaine, qui engloutit dans le même naufrage, avec le spéculateur aventureux et coupable, le capitaliste crédule et le travailleur confiant qui ont concouru à sa dérisoire entreprise ! Chance funeste, qu’on essaiera nécessairement de conjurer, en entassant les monstruosités les plus révoltantes, pourvu qu’elles réveillent l’attention blasée du public ! Ceci touche à la seconde question, plus grave encore que la première, celle de moralité. Sans prendre au sérieux l’amélioration morale du genre humain par le théâtre, cette complaisante utopie de nos dramaturges modernes, à qui la plupart de leurs. ouvrages donnent un éclatant démenti, tout en reconnaissant que le théâtre ne sera jamais, quoi qu’on fasse, une école de vertu et de bonnes mœurs, par la raison que ce qui surexcite l’imagination et les sens ne saurait être pour la conscience et l’esprit un exercice salutaire, on peut désirer pourtant qu’il ne se mêle aux séductions qui attirent au spectacle aucun de ces appâts grossiers qui repoussent ou font rougir les honnêtes gens, aucun de ces désastreux scandales qui déshonorent le sens moral et compromettent le repos d’un pays. Quelle que soit notre admiration pour Corneille et pour Molière nous nous permettons de douter que le Cid ou Nicomède ait jamais inspiré de l’héroïsme à un poltron, que Tarfue ait converti un seul hypocrite, et qu’un seul avare ait été ramené aux idées généreuses par le monologue d’Harpagon ; mais en même temps nous nous hâtons de constater que, pour la littérature qui a produit, sous le régime de l’autorité, ces admirables chefs-d’œuvre, il y aurait à tomber, par le fait de la liberté absolue, dans l’exploitation licencieuse de toutes les mauvaises passions, quelque chose d’ignominieux et de dégradant, qui rejaillirait à la fois sur les lettres, sur la liberté et sur notre époque. Les prétendus moralisateurs par le théâtre ont un système tout différent du nôtre : ils prétendent que le théâtre est une école de bonne morale, et ils ajoutent qu’il doit être libre de représenter des pièces aussi immorales qu’il le voudra : toujours, la même plaie, le, même travers, si fatal à notre temps, la glorification du superflu aux dépens du nécessaire !

Quoi qu’il en soit, nous ne nous lasserons pas de le redire, ces questions,