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à côté de la déposition de M. Hugo, nous avons celle d’un acteur qui nous donne, sur l’art du comédien érigé en instrument d’agitation politique, d’assez piquantes révélations.

On le sait la prétention de M. Dumas est de personnifier le théâtre moderne pour le glorifier davantage, et de diviniser l’art afin de se diviniser lui-même. L’auteur du Comte Hermann est un Bias dramatique, portant tout avec lui, drame, préface, acteurs, décorations, salle et mise en scène. On conçoit dès-lors qu’il soit peu soucieux des lois restrictives, de la distinction des genres, de la nécessité des études spéciales et du sage tempérament de la liberté par l’autorité. Ce ne sont là pour lui que de stériles obstacles, des entraves gênantes pour l’essor de sa pensée, pour le développement des drames innombrables toujours prêts à sortir tout armés de son cerveau, comme sortit, du cerveau de Jupiter la déesse de la Sagesse, avec laquelle ils n’ont d’ailleurs aucun autre trait de ressemblance. L’opinion de M. Hugo a des allures plus sérieuses : est-elle plus sérieuse en effet ? Nous ne le croyons pas. M. Hugo ne sait pas s’arrêter dans les limites du sujet, il passe du théâtre à la société tout entière, à l’histoire des temps anciens et modernes. — « Vous touchez, s’écrie-t-il, dans la matière spéciale qui vous occupe, à la grande, à l’éternelle question qui reparaît sans cesse, et sous toutes les formes, dans la vie de l’humanité. Les deux grands principes qui la dominent dans leur lutte perpétuelle, la liberté, l’autorité, sont en présence dans cette question-ci comme dans toutes les autres ; entre ces deux principes, il vous faudra choisir. »

Loin de nous l’idée de médire de la liberté et de vouloir la sacrifier partout et toujours à l’autorité, sa rivale ! Cette partialité aurait en ce moment trop d’à-propos pour qu’il n’y ait pas quelque sagesse à s’en méfier, et on y verrait peut-être un reste de rancune électorale. Toutefois nous pourrions répondre à M. Hugo que cet antagonisme entre la liberté et l’autorité est en effet un des douloureux problèmes contre lesquels se débat l’humanité, que cette lutte entraîne avec elle des malheurs immenses, des déchiremens inouis, et que probablement cette lutte serait moins sanglante, ces malheurs moins grands, ces déchiremens moins redoutables, si les hommes de talent ou de génie, pastores hominem, ne sacrifiaient trop souvent leur rôle de conciliateurs entre les deux principes à une vaine ambition de popularité. Voilà ce que nous pourrions répondre à M. Hugo ; tout nous porte à croire qu’il ne serait pas de note avis, et sa conduite sur un théâtre plus vaste que ceux dont il s’agit ici ne laisse là-dessus aucun doute.

Nous croyons pourtant que ce n’est pas dans cet antagonisme de la liberté et de l’autorité qu’il faut chercher l’opinion réelle, la pensée favorite de M. Hugo en matière théâtrale. Il a dit de fort belles choses sur le siècle de Louis XIV, sur le principe d’autorité, qui a arrêté l’essor de Corneille et froissé son robuste génie, sur Molière, qui n’a dû ses immunités de comédien et de poète qu’à son titre de tapissier du roi, et qui n’a été libre que parce qu’il a été valet : antithèse brillante qui rentre parfaitement dans les procédés habituels de M. Hugo, mais que d’autres ont eu le mérite d’indiquer avec lui ; et cependant nous parierions volontiers que cette étude littéraire du grand siècle vu à vol d’oiseau ou de poète, que l’appréciation un peu hautaine du XVIIIe siècle, proclamé par M. Hugo une époque de complète dégradation dramatique, en dépit de Marivaux,