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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/1147

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la Grèce, en se montrant impertinent avec la France. Le procédé est peut-être habile, il réussira peut-être : qui sait ? Mais nous ne pouvons pas oublier que toutes les impertinences de lord Palmerston conyre là France sont en même temps des ingratitudes, car lorsqu’il a voulu, il y plusieurs années déjà, entrer au ministère avec les whigs, lord Palmerston est venu chercher un satisfecit à Paris. Le roi Louis-Philippe le lui a donné et a fait que, depuis ce jour-là, lord Palmerston ne peut plus être impertinent contre la France qu’en étant ingrat. Il ne peut plus avoir que deux roueries à la fois, et l’une gâte l’autre.

Nous voudrions de bien bon cœur, et pour nous-mêmes et pour lord Palmerston, que son procédé au sujet de la médiation française dans l’affaire de la Grèce ne fût pas une impertinence ; mais il nous est impossible de le prendre pour autre chose. Voyez en effet comment les affaires se sont passées. Le gouvernement français offre sa médiation : lord Palmerston répond qu’il accepte les bons offices de la France. Cela semblait vouloir dire qu’au lieu de persister dans l’emploi des mesures de contrainte envers la Grèce, l’Angleterre remettait sa querelle à l’arbitrage officieux de la France. Il faut bien en effet que les bons offices de la France aient quelque sens favorable pour la Grèce, et le premier effet en soit de suspendre les rigueurs du blocus. Offrir ses bons offices, ce n’est pas, je pense, offrir d’être témoin d’un duel, ces offrir de s’arranger. Lord Palmerston n’entend pas la chose de cette manière. Il a, il est vrai, écrit au ministre et à l’amiral anglais en Grèce de ne rien ajouter aux mesures de coaction qu’il avait prescrites, et là-dessus le gouvernement français s’est empressé de s’applaudir de l’heureux résultat de son intervention ; mais lord Palmerston n’a pas promis et n’a pas écrit de suspendre le blocus, ou d’en adoucir la rigueur. À quoi donc se réduit la gracieuseté de lord Palmerston envers la France ? Et pour en revenir à la parabole de la Bible, que penseriez-vous, si le riche, ayant fait prendre et tuer la brebis du pauvre, s’avisait de dire d’un air aimable et doux à ses serviteurs et à ses gens. Comme le prophète Nathan est venu vers moi me parler de la brebis du pauvre homme et que je veux être agréable au prophète Nathan, continuez à faire cuire la brebis prise, mais n’en prenez pas une seconde ! — Eh comment en prendre une seconde puisqu’il n’y en a qu’une ? Voilà l’histoire du blocus du Pirée et de la médiation française. Comme lord Palmerston avait prescrit d’avance tout ce qui pouvait ruiner la Grèce, il a consenti par égard pour la France, à n’y rien ajouter.

C’est sur ces entrefaites qu’a paru la note russe qui a montré, dès les premiers mots, quelle était la gravité de la question. La note russe ne considère pas l’affaire grecque comme une affaire particulière, mais comme une affaire européenne. Un journal anglais disait que, depuis les décrets dans lesquels Napoléon mettait l’Angleterre au ban du continent ; il n’avait pas parti semblable pièce dans l’histoire. Le journal anglais a presque raison : c’est, en effet, au nom du continent que la Russie se plaint du privilège que l’Angleterre s’arroge, grace à la supériorité de sa marine, d’attaquer, selon sa fantaisie, les états du littoral européen ; c’est au nom du continent, si tristement troublé par les agitations de l’esprit révolutionnaire, que la Russie se plaint que l’Angleterre aille risquer ou peut-être essayer une révolution en Grèce. L’Angleterre est une puissance insulaire et une société aristocratique. Si ces deux circonstances lui font croire qu’elle n’a rien à craindre de la contagion