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démagogique, il est d’autant moins généreux de sa part d’aviver sur le continent la fièvre dont elle ne redoute pas les atteintes. C’est la première fois, si nous ne nous trompons, que la Russie s’adresse ainsi à l’Angleterre au : nom du continent, et cette plainte au nom du continent contre l’Angleterre sera, nous n’en doutons pas, approuvée sur plusieurs points du continent : en Grèce d’abord, cela est tout simple ; à Naples, où l’on se souvient encore des encouragemens que l’Angleterre a donnés à la révolution sicilienne ; en Espagne, où l’Angleterre et récemment encore semblait favoriser une insurrection démagogique, et d’où le ministre anglais a dû être expulsé : voilà, dans quels pays la note russe trouvera de l’écho.

L’empressement que la Russie a mis à se porter le représentant du continent est-il le commencement de cette grande lutte entre la : Russie et l’Angleterre que nous apercevons dans les lointains de l’avenir, et qui doit, selon nous, être la fin de l’Europe ? A Dieu ne plaise que, dans nos téméraires conjectures, nous marquions les temps et les momens de cette lutte ! Nous sommes convaincus que la lutte sera long-temps éludée et détournée, qu’il y’ aura des alliances et des trêves, surtout des concessions réciproques mais nous sommes convaincus en même temps que cette lutte est dans l’avenir et dans la force des choses.

Quoi ! dira-t-on, la guerre et ses horreurs de nos jours, en pleine civilisation ! — Oui, et l’on oublie toujours que la civilisation, arrivée à un certain point, loin d’exclure la guerre, l’appelle et l’enfante. Elle appelle d’abord la guerre civile par le développement qu’elle donne aux mauvaises passions du cœur humain : cela ne peut guère être contesté. Voyez l’Europe, voyez la France à l’heure qu’il est. Quant aux guerres d’ambition, la civilisation ne les étouffe pas, elle les excite, parce qu’en face de nations livrées à la faiblesse et à l’épuisement que causent les agitations révolutionnaires, les nations qui ont encore gardé quelque sève et quelque vigueur chorale sont tentées de conquérir les premières, ne fut-ce que pour les contenir et pour les empêcher de troubler perpétuellement le monde. Quel temps fut plus civilisé que le temps où la Grèce, depuis la mort d’Alexandre-le-Grand jusqu’à la conquête romaine, pendant plus de cent soixante ans, flotta entre la liberté, la domination macédonienne et la domination romaine, et quel temps fut plus rempli de guerres et de carnages ? Ne disons donc pas que nous vivons en les temps trop civilisés pour être malheureux ; la civilisation n’exclue pas le malheur et l’aventure, elle l’aggrave au contraire, en nous rendant plus délicats et plus sensibles. À Rome, depuis la mort de Néron jusqu’à Constantin, même spectacle et même leçon ; beaucoup de civilisation, surtout comme nous entendons la civilisation, c’est-à-dire beaucoup de luxe, beaucoup de plaisirs, et même beaucoup de livres : en même temps beaucoup de guerres civiles et beaucoup de massacres. Nous disons cela afin qu’il soit bien entendu que, lorsque les peuples civilisés se passent leurs fantaisies de licence et d’anarchie, ils ne jouent pas sur le velours, comme au fond ils aiment à le croire.

L’affaire de la Grèce contient la question d’Orient, c’est-à-dire la question qui a précédé la révolution de février, et qui, après comme avant cette révolution, continue à peser sur l’Europe. Les affaires d’Allemagne, au contraire, sont une question qui procède essentiellement de la révolution de février, mais