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il aidait le chirurgien à panser les pieds des blessés. Son visage, au feu, était empreint d’une bonté limpide et d’une sereine tristesse. On le disait pieux, et il l’était. Or, voici comment lui advint sa piété.

On se rappelle l’expédition qu’en 1832 la duchesse de Berri fit dans la Vendée. À cette époque, il n’était bruit dans la garnison et parmi la jeunesse de Nantes que d’un gentilhomme des environs appelé Robert de Vibraye, dont la batailleuse ardeur demandait chaque jour un aliment aux querelles de café. Robert avait à peine vingt-deux ans. La révolution de juillet l’avait empêché de prendre le métier des armes, pour lequel son appétit d’aventures, son courage sans bornes, sa loyale et turbulente humeur, son regard impérieux, ses traits virils, sa taille à la fois droite, ondoyante et fière comme le panache d’un chevalier, toute sa personne enfin, intérieure et extérieure, lui criait qu’il était né. Notre héros souffrait donc de toute l’irritante douleur d’une vocation frappée par la destinée. Il ne pouvait pas se persuader que la chasse fût, comme le lui avait dit son précepteur, l’image de la guerre. Les perdrix qu’il atteignait sous l’aile, les lièvres dont il brisait le train de derrière, ne lui faisaient pas l’illusion de combattans étendus sous le ciel. De là vint qu’il se précipita dans le duel avec emportement et délices. Les bleus et les patauds, comme il appelait dans son langage arriéré les militaires qui avaient accepté et les bourgeois qui avaient fêté la révolution de 1830, étaient chaque jour les objets de ses provocations. Plein d’une ardeur contenue à l’épée, d’un calme glacial et terrible au pistolet, il était rare qu’il n’envoyât pas ses adversaires au moins jusqu’au seuil de la mort. Les jours où il avait couché un homme par terre, il avait le visage illuminé d’un enthousiasme scandinave, sa parole était bruyante et joyeuse, sa démarche légère ; aussi l’appelait-on Robert-le-Diable dans le pays.

Ce nom ne lui venait pas seulement du plaisir qu’il prenait, pour me servir d’une de ses expressions, à débarrasser les ames de leur enveloppe ; on appelait ainsi Robert pour une autre cause connue de toute la Vendée. Le père de Robert, le comte Thierry de Vibraye, était un de ces gentilshommes d’humeur bizarre et indomptable à la façon du marquis de Mirabeau et du comte de Montlosier, qui représentaient la vieille noblesse dans son excentrique indépendance et ses caprices hasardeux. Pendant la révolution, il avait servi dans l’armée de Condé. La gloire impériale ne l’avait pas réconcilié avec la France révolutionnaire, et, jusqu’en 1815, il était resté dans les troupes étrangères, se souciant aussi peau qu’un Armagnac ou un Saint-Pol de savoir s’il offensait ou non les dieux de la patrie. Tout en guerroyant sur le Rhin pour la maison catholique de Bourbon, un beau jour il devint amoureux d’une descendante de ces Hampfeld qui donnèrent asile dans leur château à Luther et se firent les plus zélés défenseurs de la religion réformée. La comtesse