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Griselidis avait des yeux qui lui parurent valoir mieux qu’une messe. On exigea que pour l’épouser il se fît huguenot. Notre gentilhomme n’eut pas à se faire protestant plus de scrupule que n’en avait eu le comte de Bonneval à embrasser l’islamisme. Depuis, il mit son orgueil à justifier par maint paradoxe ce qu’il avait fait par amour. Le culte réformé, disait-il, était le seul qui convint au maître d’un fief. La religion catholique était entachée de démagogie ; elle avait enfanté la ligue, tué Henri IV, prosterné toute la noblesse aux pieds des confesseurs de cour. Le comte de Vibraye écrivit sur cette matière un livre rempli d’expressions violentes et heurtées, mais qui produisaient en se heurtant de singulières étincelles. L’oeuvre fit scandale, fut foudroyée par l’église, et condamna M. de Vibraye, malgré ses campagnes sous tous les étendards royaux, à mourir, en pleine restauration, dans la solitude et la disgrace. Robert avait dix-huit ans quand il perdit son père ; depuis deux années, sa mère avait laissé vide le grand fauteuil où elle rêvait à la patrie allemande. La jeunesse se leva pour lui sur deux tombeaux.

Il se livrait à une tristesse emportée, comme l’était toujours chez lui toute pensée et tout sentiment, quand vint à Nantes Mme de Kerhouët, que vous savez, qui a écrit, sous le nom de Marie Stella, la Vallée des Larmes, les Amours d’un Ange, la Harpe et le Rosaire, et d’autres romans pleins de mysticisme, où se montre en définitive une belle ame ; car Mme de Kerhouët est une excellente personne, à qui ne manque que le don profane du talent. Elle était un peu parente de Robert, que ses soixante ans lui permirent de traiter avec une expansive affection. Notre jeune homme avait, malgré ses instincts violens et sauvages, une certaine grace sentimentale, fruit de ses promenades à travers bois et surtout d’une éducation donnée par une mère. La douairière le trouva charmant, et résolut de l’enlever à la damnation éternelle en le tirant des griffes de Luther. Robert, à vrai dire, ne savait guère en quoi un catholique différait d’un luthérien. Malgré le sang chrétien qui coulait dans ses veines, c’était en religion une sorte de Huron. Mme de Kerhouët était la seule personne qui représentât pour lui le plus indispensable élément de notre vie, la tendresse féminine ; elle désirait qu’il fût catholique, il fut heureux d’avoir à lui donner une marque de soumission, et se résigna courageusement à s’entretenir chaque jour avec l’évêque de Nantes, qui voulut lui-même offrir cette ame au Seigneur. Tout alla pour le mieux dans cette conversion. Robert reçut l’eau du baptême avec la dignité d’un roi sicambre. Mme de Kerhouët, sa marraine, en faisait le héros du plus séraphique de ses romans, quand se passa la scène infernale qui jeta brusquement Robert loin des voies bénies, et lui fit mériter plus que tous ses duels son sinistre surnom.