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et de laisser entre le nouveau territoire et le Texas un vaste espace dont l’avenir déciderait. Le Texas, d’ailleurs, est beaucoup trop vaste pour un seul état, et pourra être divisé le jour où il commencera à se peupler. Le nombre des états du sud n’est donc pas encore forcément limité comme ils le disent, et ils ont devant eux plus de terres qu’ils n’en peuvent défricher d’ici à de longues années. Quant à la dernière question qui divise les deux fractions de l’Union, celle de l’abolition de l’esclavage dans le district fédéral, nous avons déjà indiqué comment on pourra l’éluder ; il suffira de rétrocéder au Maryland la portion du district qui lui a originairement appartenu, et de ne conserver que la ville même de Washington.

Mais il ne suffit pas que la masse des citoyens paisibles désire un compromis, il ne suffit pas que les élémens de ce compromis, existent ; il faut qu’il se trouve encore un homme résolu à en prendre l’initiative, et investi d’assez d’autorité pour obliger les partis à écouter la voix de la sagesse et de la modération. Quelle nation périrait, si les bonnes intentions, sans le talent et sans l’autorité, suffisaient à sauver les peuples ? Cet homme nécessaire, dont le rôle est tout tracé, il existe aux États-Unis : c’est M. Clay, qui déjà deux fois est intervenu pour empêcher une lutte violente entre le nord et le sud, M. Clay, l’auteur du compromis du Missouri en 1824, l’auteur de l’acte de compromis de 1833, M. Clay, que le peuple de l’Union s’est habitué à appeler le grand pacificateur. À mesure que la lutte s’est échauffée cette année, les regards se sont tournés vers M. Clay, et, quand on le sut gravement malade, au moment où le choléra sévissait, ce fut une consternation universelle. À peine rétabli, M. Clay déclara que, malgré ses soixante-douze ans, il irait reprendre cette année au sénat la place qu’il avait quittée, il y a dix ans, en faisant à ses collègues de solennels adieux.

Il a parcouru une partie de l’Union, visitant New-York, Philadelphie, Baltimore, répétant partout les mêmes paroles de conciliation : partout magistrats, législateurs, hommes de tous les partis, populations entières, se sont portés au-devant de lui, accompagnant tous ses pas, lui faisant un cortège tel que roi n’en eut jamais un pareil, lui demandant d’aller à Washington et d’y aller le plus tôt possible. Y a-t-il u n spectacle plus touchant que celui de cette inquiétude de tout un peuple pour le sort de ses institutions, et de sa confiance dans un vieillard de qui il semble attendre son salut ? A Baltimore, M. Clay ne put garder la réserve dans laquelle il s’était maintenu jusque-là, et, dans l’émotion de l’accueil enthousiaste qui lui était fait, il laissa échapper avec le mot de compromis une partie de son secret. Il termina ainsi cette improvisation, qui avait toute une ville pour auditoire : « Si mon cœur et mon dévouement n’ont pas changé, je sens que la main du temps pèse lourdement sur moi ; mais, en toute circonstance et à tout événement, mes