Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/122

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

derniers efforts seront pour le maintien de l’Union. Que la tempête vienne d’où elle voudra, j’y ferai face, et, pour défendre notre glorieuse confédération, elle me trouvera toujours debout. » En prononçant ces mots, le majestueux vieillard, courbé par les années, se redressait de toute sa hauteur, et une commotion électrique, parcourant la foule, en faisait sortir une immense acclamation. M. Clay ajouta : « Rompez l’union, et c’en est fait de nous tous ? Notre pays n’aura pas besoin d’historien, notre histoire sera celle de la Grèce. Alors viendront les pernicieuses alliances avec l’étranger, les révolutions intérieures, les guerres acharnées, puis quelque chef militaire qui jouera le rôle de Philippe ou d’Alexandre. J’espère que Dieu nous épargnera un pareil avenir, et mes efforts seront sans relâche consacrés à le détourner. » M. Clay s’est rendu à Washington deux jours seulement avant l’ouverture du congrès, et, pendant quarante-huit heures, la population entière assiégea le débarcadère du chemin de fer. « Quand sa venue fut annoncée, écrit un témoin oculaire, des bravos assourdissans s’élevèrent, accompagnés de démonstrations de joie si vives et presque si folles, que, dans ce bruit, cette agitation, cette confusion, il devenait impossible de dire si les trois quarts de la foule marchaient sur leurs pieds ou sur leurs mains. La première émotion passée, la foule s’ouvrit pour faire place à M. Clay, se forma en colonne derrière lui, et l’accompagna dans le plus grand ordre jusqu’à l’Hôtel National. Du haut du perron, MM. Clay adressa quelques mots à la foule, et elle se retira paisible et satisfaite. »

M. Clay rentre donc au sénat des États-Unis pour y recommander la conciliation ; il y apporte quelque chose de plus puissant que la sagesse d’un politique consommé et même que l’éloquence d’un cœur patriote : il y apporte la volonté d’un grand peuple qui l’est allé chercher dans sa retraite pour faire de lui l’instrument d’une pacification nécessaire. Nous croyons donc que le compromis que M. Clay proposera finira par prévaloir ; mais, dût-il échouer, nous sommes sûr que le général Taylor, malgré la déclaration qu’il a faite avant son élection de ne point faire usage du veto présidentiel, saurait se manquer de parole à lui-même, et employer au salut de son pays le pouvoir que lui donne la constitution. Quand un peuple veut fermement être sauvé, il est assuré de surmonter toutes les tempêtes. Les États-Unis en sont là, et la crise actuelle sera conjurée ; mais le mal est permanent, et le remède ne sera que provisoire. Le péril renaîtra, comme d’habitude, tous les quinze ans, jusqu’au jour où les Américains étant plus corrompus, l’énergie nationale plus affaiblie, les ambitions particulières plus insatiables et les rivalités plus acharnées, la désunion ne trouvera plus d’obstacle dans le patriotisme, et la chute des mœurs entraînera la chute de la nation.


CUCHEVAL-CLARIGNY.