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on a l’habitude de se servir pour masquer la réalité : on ne veut pas toucher à l’institution religieuse de la papauté ; on est à genoux devant elle, on la respecte, on la maintiendra ; on ne conteste pas même à la papauté son autorité temporelle, on prétend seulement en modifier l’exercice. On ne lui demandera que des concessions reconnues indispensables, et on ne lui imposera que des réformes parfaitement légitimes. Il y a dans tout ceci passablement de mauvaise foi et surabondamment d’illusions.

Il y a certainement de la mauvaise foi, même de la part des plus candides, à faire semblant de croire que des réformes sérieuses et sincères, introduites dans le régime actuel de l’état romain, puissent ne pas aboutir, dans un temps donné, à une sécularisation complète de cet état ; mais la question n’est même pas là : la véritable question est de savoir au profit de qui se ferait cette sécularisation, c’est-à-dire quels seront la nature, l’esprit et les tendances du pouvoir auquel vous remettriez l’autorité temporelle, après en avoir dépouillé la papauté ; car, vous ne sauriez vous le dissimuler, c’est sous la tutelle de ce nouveau pouvoir que la papauté serait désormais appelée à vivre, et c’est ici que les illusions abondent.

Nous connaissons le fétichisme des Occidentaux pour tout ce qui est forme, formule et mécanisme politique. Ce fétichisme est devenu comme une dernière religion de l’Occident ; mais, à moins d’avoir les yeux complètement scellés et fermés à toute expérience comme à toute évidence, comment, après ce qui vient de se passer, parviendrait-on encore à se persuader que, dans l’état actuel de l’Europe, de l’Italie, de Rome, les institutions libérales ou semi-libérales que vous aurez imposées au pape resteraient long-temps aux mains de cette opinion moyenne, modérée, mitigée, telle que vous vous plaisez à la rêver dans l’intérêt de votre thèse, qu’elles ne seraient point promptement envahies par la révolution et transformées aussitôt en machines de guerre pour battre en brèche, non pas seulement la souveraineté temporelle du pape, mais bien l’institution religieuse elle-même ? car vous auriez beau recommander au principe révolutionnaire, comme l’Éternel à Satan, de ne molester que le corps du fidèle Job sans toucher à son ame, soyez bien convaincus que la révolution, moins scrupuleuse que l’ange des ténèbres, ne tiendrait nul compte de vos injonctions.

Toute illusion, toute méprise à cet égard, sont impossibles pour qui a bien réellement compris ce qui fait le fond du débat dans l’Occident, ce qui en est devenu, depuis des siècles, la vie même : vie anormale, mais réelle, maladie qui ne date pas d’hier, et qui est toujours encore en voie de progrès. Et s’il se rencontre si peu d’hommes qui aient le sentiment de cette situation, cela prouve seulement que la maladie est déjà bien avancée.