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n’est pas ce principe n’est plus la révolution, et ne saurait avoir qu’une valeur purement relative et contingente. Voilà pourquoi, soit dit en passant, rien n’est plus niais ou plus perfide que d’attribuer aux institutions politiques créées par la révolution une autre valeur que celle-là. Ce sont des machines de guerre admirablement appropriées à l’usage pour lequel elles ont été faites, mais qui, en dehors de cette destination, ne sauraient jamais, dans une société régulière, trouver d’emploi convenable.

La révolution, d’ailleurs, a pris soin elle-même de ne nous laisser aucun doute sur sa véritable nature, en formulant ainsi ses rapports vis-à-vis du christianisme : « L’état, comme tel, n’a point de religion ; » car tel est le credo de l’état moderne. Voilà, à vrai dire, la grande nouveauté que la révolution a apportée au monde ; voilà son œuvre propre, essentielle, un fait sans antécédens dans l’histoire des sociétés humaines. C’était la première fois qu’une société politique acceptait, pour la régir, un état parfaitement étranger à toute sanction supérieure à l’homme, un état qui déclarait qu’il n’avait point d’ame, ou que, s’il en avait une, cette ame n’était point religieuse ; car qui ne sait que, même dans l’antiquité païenne, dans tout ce monde de l’autre côté de la croix, placé sous l’empire de la tradition universelle que le paganisme a bien pu défigurer, mais sans l’interrompre, la cité, l’état, étaient avant tout une institution religieuse ? C’était comme un fragment détaché de la tradition universelle, qui, en s’incarnant dans une société particulière, se constituait comme un centre indépendant : c’était, pour ainsi dire, de la religion localisée et matérialisée.

Nous savons fort bien que cette prétendue neutralité en matière religieuse n’est pas une chose sérieuse de la part de la révolution. Elle-même, elle connaît trop bien la nature de son adversaire pour savoir que, vis-à-vis de lui, la neutralité est impossible : « Qui n’est pas pour moi est contre moi. » En effet, pour offrir la neutralité au christianisme, il faut déjà avoir cessé d’être chrétien. Le sophisme de la doctrine moderne échoue ici contre la nature toute-puissante des choses. Pour que cette neutralité eût un sens, pour qu’elle fût autre chose qu’un mensonge et un piège, il faudrait de toute nécessité que l’état moderne consentît à se dépouiller de tout caractère d’autorité morale ; qu’il se résignât à n’être qu’une simple institution de police, un simple fait matériel, incapable par nature d’exprimer une idée morale quelconque. Soutiendra-t-on sérieusement que la révolution accepte, pour l’état qu’elle a créé et qui la représente, une condition semblable, non-seulement humble, mais impossible ? Elle l’accepte si peu, que, d’après sa doctrine bien connue, elle ne fait dériver l’incompétence de la loi moderne en matière religieuse que de la conviction où elle est que la morale dite religieuse, c’est-à-dire une morale dépouillée de toute sanction