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L’évêque de Nantes, fort digne homme du reste, était un peu janséniste. Son inflexible conscience ne lui permettait point de tempérer, même dans une vue chrétienne, les plus rigoureux dogmes de sa foi. Un jour, Robert eut l’idée malencontreuse de lui demander s’il pensait que sa mère, née et morte dans la religion luthérienne, était damnée. L’évêque lui répondit qu’elle l’était indubitablement. Robert gardait de sa mère un souvenir d’une tendresse passionnée. L’évêque parut tout à coup à son esprit chevaleresque et impétueux un suppôt maudit de la puissance qui condamnait sa mère aux tortures. Robert le somma de rétracter ses paroles avec un regard furieux et un geste menaçant. L’évêque prit l’attitude d’un martyr, et répéta sa terrible sentence. Robert commit le même sacrilège que Marino Faliero : il donna un soufflet au prélat ; puis, sentant lui-même tout ce qu’il y avait d’irréparable et de monstrueux dans ce transport de colère, il s’enfuit, s’élança sur un cheval, et courut s’enfermer à Vibraye. Mme de Kerhouët ne revit plus son filleul, qui, à partir de ce jour, passa toute sa vie à chasser, se battre et mettre à mal les jolies filles. L’outrage de Robert à son illustre directeur avait fait un tel bruit, que, même à Vibraye, on s’en entretenait, en se signant, sous les plus pauvres toits ; mais le jeune comte avait tant de bonne grace dans ses intrépides allures et répandait un charme si singulier sur ses plus fougueux caprices, que ni le dévouement, ni l’amour, ni le respect n’étaient éteints pour lui dans le village qu’animait sa jeunesse. Seulement on recommandait son ame avec ferveur au Dieu qui a pitié des corps souffrans dans les chaumières et des ames tourmentées dans les châteaux.

Robert était donc encore, en 1832, un des hommes qui pouvaient tenter avec le plus de succès, à une certaine heure, de remettre la foudre et la mort dans les buissons de la Vendée, quand on apprit tout à coup que la duchesse de Berri venait demander de nouveaux miracles d’héroïsme à la patrie des Bonchamp et des Charette. On comprend avec quelle ardeur Vibraye, qui chaque jour risquait sa vie pour les plus vulgaires et les plus futiles motifs, embrassa la plus émouvante et la plus romanesque des causes. Ce ne fut pas lui qui s’inquiéta des forces qui soutenaient et des forces qui combattaient la princesse. Tout dans cette expédition lui sembla le mieux combiné, le mieux conduit et le plus raisonnable du monde. Si la mère de l’exilé avait trouvé beaucoup de soldats de cette espèce, le drapeau blanc eût flotté autre part que derrière des buissons et sur quelques masures. Robert tua quatre hommes de sa main au combat de la Vieille-Vigne, dirigea trois retours offensifs au Gros-Chêne, et prit part enfin à l’immortelle fusillade de la Pénissière.

Ce fut par une nuit de juin qu’eut lieu cette merveilleuse action, qui met dans l’histoire moderne une page des anciennes chroniques. Juin,