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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/158

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j’ai reçue, le fol orgueil de ma famille, m’ont fait de l’inaction un misérable point d’honneur. Je ne suis rien, et je rougis de moi-même. Je veux me relever, changer ma destinée. Tout homme doit trouver en lui-même une richesse à l’abri des atteintes du sort. Je pars, je vais à Paris chercher l’emploi de ma force et de mon intelligence. Le travail est la loi commune : j’obéis à cette loi, que j’ai trop long-temps méconnue.

— Et vous partez sans moi !

— Crois bien, mon enfant, que si je pouvais quelque chose pour ton bonheur, je ne te quitterais pas ; mais que puis-je ? Ce que tu cherchais en moi, je ne l’ai plus.

— Et moi, n’ai-je rien perdu ? reprit Laure en baissant les yeux.

— Non, mon enfant, tu n’as rien perdu, dit Gaston la pressant doucement sur son cœur. Le sort n’a pu t’enlever ta grâce, ta beauté, ta jeunesse. Si tu m’aimais, je te dirais : — Partons ensemble. Viens partager ma vie austère. Tu seras ma joie, mon bonheur. Ta présence doublera mon courage. En te sentant près de moi, en travaillant pour toi, j’oublierai la pauvreté. — Mais tu ne m’aimes pas, mon enfant. Pourquoi m’aimerais-tu ? qu’ai-je fait pour mériter ta tendresse ?

— Nous partirons ensemble ! s’écria Laure en lui jetant ses bras autour du cou. Nous étions deux insensés, Dieu nous a punis ; mais il nous pardonne, il nous envoie l’amour.

Laure et Gaston passèrent quelques jours encore à La Rochelandier : ils voulaient dire adieu, ils voulaient se montrer régénérés, purs de tout vain désir, aux ombrages de la Trélade, à tous les coins de cette paisible vallée, témoins de leur folie, et maintenant témoins de leur bonheur. Ce pèlerinage accompli, ils partirent un matin, au soleil levant, tandis que tout le monde reposait encore au château.

La marquise et M. Levrault, qui n’avaient pas l’amour pour se consoler, après avoir accusé leurs enfans d’ingratitude, reprirent leurs vieilles querelles comme une partie de piquet interrompue ; à l’heure où nous achevons ce récit, la partie dure encore. Maître Jolibois, après avoir siégé dans l’assemblée constituante, est rentré dans la vie privée ; abandonné de tous ses cliens, il se console en disant que la république a fait fausse route. Gaspard de Montflanquin, pour charmer les nombreux loisirs de son consulat, enseigne la bouillotte et le lansquenet aux sauvages de l’Océanie.


Jules Sandeau

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