Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/176

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Quand on dit qu’on aura année entière, cela veut dire grande abondance ; demi-année ne veut dire qu’une récolte médiocre. C’est ainsi que toujours, en dépit de l’expérience, nous prenons le bien pour la règle et le mal pour l’exception. Une terre a beau accroître ses productions, son propriétaire accroît encore plus ses besoins et ses dépenses. Il en est, il en a été des propriétaires de vignes comme des colons. Il s’est fait dans les vignes de grandes fortunes ; mais il y a eu encore plus de luxe que de richesse. De là il est arrivé que lorsque la terre a moins donné et qu’on n’a plus eu le gros lot à la loterie, on s’est trouvé fort mal à l’aise. On avait pris pour un revenu ce qui n’est, pour ainsi dire, qu’un commerce.

Une fois la gêne arrivée, beaucoup de propriétaires de vignes ont cherché à qui s’en prendre, et, ne voulant pas s’en prendre à eux-mêmes, ils s’en sont pris à l’état, c’est-à-dire à l’impôt.

À entendre les producteurs, on croirait qu’ils supportent à eux seuls tout le poids de l’impôt. Or, voici quelle est leur situation. D’abord, ils sont exempts de droits pour toutes les quantités qu’ils vendent à l’étranger, et cela monte à une valeur annuelle de 90 millions. Puis, ils consomment en franchise une partie des boissons qu’ils récoltent. Ils ne sont assujétis au droit d’entrée que dans les villes de quatre mille ames ou plus.

Il n’est donc pas juste de dire que les propriétaires de vignes sont écrasés par l’impôt des boissons. Ils prétendent, il est vrai, qu’ils sont doublement lésés, d’abord par les droits qui les frappent directement, ensuite par ceux qui pèsent sur les consommateurs, et qui, par l’excès de leur poids, réagissent sur la production elle-même. Examinons si ce reproche est fondé, et voyons quelle est la situation des consommateurs.

Les documens officiels nous disent que, sur la population totale de la France, qui est de trente-cinq millions, les cinq sixièmes habitent des communes au-dessous de quatre mille ames. Voilà déjà trente millions de contribuables qui ne sont pas assujétis au droit d’entrée, et, sur ces trente millions, il y en a douze qui consomment en franchise les produits de leurs récoltes, et dix-huit qui ne paient pour leur consommation qu’un droit minime, dont la moyenne générale est évaluée à un centime par litre. Il n’y a donc que cinq millions de contribuables qui supportent avec le droit de circulation le droit d’entrée, et la moyenne de ces deux droits réunis s’élève pour eux à 3 centimes et demi.

Telle est la situation des consommateurs. Nous raisonnons toutefois, jusqu’ici, sans parler du droit de détail, celui qui se perçoit sur les ventes faites par les débitans. Tout le monde, malheureusement, ne peut pas avoir sa vigne, faire sa vendange chez soi, ou s’approvisionner chez le propriétaire ou le marchand en gros. Une partie des contribuables va donc au cabaret. Or, voici ce qui en résulte, toujours d’après les chiffres officiels. D’abord, nous venons de voir que douze millions de propriétaires récoltent leur vin chez eux : ceux-là, assurément, ne vont au cabaret que s’ils le veulent absolument, et on peut croire, pour leur honneur, qu’ils n’abusent pas de cette faculté. Quant aux vingt-trois millions de contribuables qui ne récoltent pas, il faut faire à leur égard une distinction. Sur ces vingt-trois millions, il y en a dix-huit qui habitent les petites communes affranchies du droit d’entrée ; pour ceux-là, le droit