Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/177

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de détail ajoute au prix du vin une moyenne de 5 centimes par litre. Quant aux cinq millions qui habitent les grands centres, le droit de détail ajouté au droit d’entrée s’élève pour eux à un maximum de 7 centimes et demi

Voilà les victimes que fait le droit de détail : 5 centimes par litre pour ceux qui vont au cabaret dans les campagnes, 7 centimes et demi pour ceux qui vont aux cabarets des villes.

Cependant, parmi ces victimes, on nous permettra de signaler une différence. Les consommateurs de cabaret n’ont pas tous droit aux mêmes sympathies. Qu’on s’apitoie sur le compte de ceux qui ne vont chez le débitant que pour y prendre leur approvisionnement domestique, rien de mieux : ceux-là, en effet, méritent que leur position soit allégée, et le sentiment de l’assemblée a été unanime à cet égard ; mais elle n’a pas eu, à beaucoup près, les mêmes ménagemens envers cette autre classe beaucoup moins intéressante de contribuables qui ne vont au cabaret que pour y laisser leur bourse et leur raison. Ceux-là, il faut en convenir, ont trouvé dans la majorité peu de sympathies ; elle a résisté sur ce point à toutes les séductions. Ni la logique de M. Grévy, ni les bons mots de M. Antony Thouret, ni la sensibilité de M. Jules Favre ou de M. Mathieu de la Drôme, n’ont pu l’émouvoir le moins du monde. Au contraire, elle a écouté avec une satisfaction non équivoque, au milieu des interruptions violentes de la montagne, un discours très sensé et très courageux de M. de Charencey, qui n’a pas craint de flétrir en termes énergiques la clientelle oisive des cabarets, cette plaie honteuse, cette source de dégradation et de misère, où le socialisme recrute ses adhérens, et où les ennemis de l’ordre sont toujours sûrs de trouver leur armée un jour d’émeute. Si l’impôt qui pèse sur cette classe de consommateurs est relativement un peu lourd, loin de s’en plaindre, il faudrait au contraire s’en féliciter, et applaudir à la sagesse et à la moralité de la loi, car cette rigueur de l’impôt serait le seul moyen de réprimer ou de contenir un vice qui répand la corruption dans le pays.

Les consommateurs, on le voit, n’ont pas beaucoup à se plaindre de l’impôt des boissons. Sauf l’exception que nous avons indiquée, et qui sera certainement l’objet d’une modification prochaine, on ne peut dire que l’impôt soit un fardeau intolérable pour eux. Qui donc est en droit de se plaindre ? Est-ce le débitant ? Un mot suffit pour répondre à toutes les déclamations sans cesse renouvelées à propos de l’exercice : c’est que la loi donne aux détaillans la faculté de s’en affranchir. Si donc il y en a qui se soumettent à l’exercice, c’est qu’ils le veulent. D’ailleurs, l’exercice est le sort commun de beaucoup d’autres industries. C’est un moyen que le fisc est forcé d’employer, dans l’intérêt même du principe d’égalité ; car, si la perception d’un impôt n’était pas l’objet d’une surveillance sévère à l’égard d’une certaine classe de contribuables, toutes les autres seraient en droit de réclamer. Aussi l’exercice est-il en usage chez presque tous les peuples de l’Europe. Il est vingt fois plus rigoureux en Angleterre qu’en France. Les économistes de la montagne savent bien, du reste, que c’est un moyen dont il est difficile de se passer, puisqu’ils en font la base de leur projet d’impôt sur le revenu. Comme l’a fait remarquer M. de Montalembert, pour soustraire trois cent mille cabaretiers à un exercice qu’ils disent intolérable, ils ne trouvent rien de mieux que de soumettre trente-cinq millions de Français à l’exercice !