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de ces mines en aussi fortes quantités et aussi facilement qu’on le prétend ? Les nombreux émigrans, en un mot, qui, de tous les points de la France, de l’Allemagne, de l’Angleterre, se dirigent vers la Californie, y trouveront-ils la fortune, ou bien seront-ils forcés, ainsi que l’affirment et le soutiennent beaucoup de pessimistes, de chercher, tristes, désillusionnés, malades, auprès de leurs consuls respectifs, les moyens de regagner leur patrie ? Pénétré de l’importance de ces questions, j’ai interrogé des négocians, des ingénieurs, des employés américains civils et militaires, des travailleurs en route pour les mines, d’autres rentrant à San-Francisco ; j’ai voulu voir par moi-même, et j’ai tout lieu de croire parfaitement exactes les données que j’ai pu recueillir sur les bénéfices des chercheurs d’or du Sacramento. Un premier point à établir, c’est qu’il n’y a pas, à proprement parler, de mines en Californie, et par conséquent pas de fouilles coûteuses à faire. Sur une étendue de plus de cent cinquante lieues carrées, on a trouvé, on trouve encore de l’or partout. De quelque côté qu’on dirige ses pas, on voit un sol complètement saturé de ce métal précieux, au point qu’on n’a qu’à se baisser, qu’à ramasser un peu de terre dans son chapeau, puis à l’aller laver dans le ruisseau voisin pour en avoir. Ce fait, quelque extraordinaire qu’il paraisse ; n’admet pas le plus léger doute.

Qu’on ne se hâte pourtant pas d’en conclure que la fortune attend tous ceux qui ont le bonheur d’atteindre cette terre promise, cet Eldorado qui éclipse tout ce qu’ont pu rêver les ardens émules de Christophe Colomb. Bien qu’il n’y ait pas de fouilles à faire, bien que les difficultés de l’extraction soient en apparence nulles ou insignifiantes, la richesse, ici comme ailleurs, se paie en privations et en sueurs. Prendre la pioche, remuer la terre, en faire sortir de l’or, tout cela paraîtra sans doute une bagatelle, un assez agréable passe-temps ; mais, lorsque le moment arrive où il faut se ceindre pour la tâche, où, se séparait de ses semblables et des douceurs de la vie civilisée, il faut s’enfoncer dans des ravins avec l’ours, le tigre, et, ce qui vaut encore moins, des échappés de bagnes pour seuls compagnons, on se sent bientôt faiblir. Puis, c’est un travail si rebutant que de charger de la terre dans un panier, de porter ce panier sur son épaule quelquefois à une lieue du point d’extraction, pour en laver le contenu soi-même en plein soleil et sous le poids d’une chaleur dévorante ! J’ai vu, je vois encore à chaque instant des hommes forts, énergiques, mais qui n’ont pas été accoutumés aux travaux manuels, rentrer à San-Francisco complètement démoralisés, et n’ayant gagné aux mines que les fièvres qui les consument. Il est vrai qu’à côté de ceux-là j’en vois d’autres qui reviennent, après des absences de quelques semaines seulement, avec 10, 15, 20 et souvent 100,000 francs dans leurs ceinturons en cuir jaune. Ceux-là sont en général des manœuvres, des