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et les Anglais, ils échappent, faute d’en trouver les occasions, à d’autres excès auxquels ils sont plus particulièrement enclins. Au reste, ici comme ailleurs, la fortune reste non pas à l’homme qui gagne beaucoup, mais à celui qui dépense peu. Je vois des négocians qui passent pour avoir fait les opérations les plus avantageuses très embarrassés dans leurs affaires, tandis que d’autres qui spéculent prosaïquement, et pour ainsi dire terre à terre, se retirent en général, au bout d’un temps assez court, avec des bénéfices considérables. Pour le négociant anglais comme pour le négociant américain, le plaisir est incompatible avec les affaires. Aussi agissent-ils l’un et l’autre en athlètes qui seraient descendus dans l’arène pour livrer un combat mortel. Point d’intervalle de repos pour eux, point de distractions. Sortir en vainqueurs de la lice, battre complètement leurs concurrens, voilà le but de tous leurs désirs, le glorieux résultat vers lequel tendent tous leurs efforts.

Je m’arrêtais souvent à San-Francisco devant les boutiques et les étalages où de jeunes citoyens de New-York, sortant à peine de l’école et encore imberbes, prônent leurs marchandises, ou, pour employer un terme du métier, font la partie avec une adresse qui ferait honte au commis le mieux discipliné de Paris. Voyez le jeu de la physionomie de ce jeune marchand, remarquez l’heureux choix de ses mots, la vivacité et le naturel de ses gestes : ce n’est pas un mouchoir de poche ou un pantalon qu’il vous vend, ce n’est pas une boîte de sardines qu’il vous offre ; non, c’est la pierre philosophale qu’il tient là devant vous, et dont il ne consent à se séparer que par amour de l’humanité. Excellent jeune homme, comme j’ai souvent admiré votre éloquence précoce et votre sang-froid imperturbable ! Allez, vous ferez votre chemin.

Cette persévérance du négociant américain n’est pas une des moindres causes de l’immense développement qu’a pris dans ces derniers temps le commerce des États-unis. Il y a du patriotisme à vouloir écraser, anéantir toute industrie rivale en même temps qu’on avance ses propres affaires. — Avez-vous lu le dernier rapport de M. King ? vous demandera le négociant américain en vous arrêtant par la boutonnière et avec une satisfaction qui éclate dans tous ses traits. Lisez-le ; vous y verrez que nous sommes à la veille de terrasser John Bull. Le tonnage de notre marine marchande égalait, l’année dernière, à peu de choses près, celui de la sienne. Cette année, nous sommes sûrs d’enfoncer le voisin. Nous avons chassé ses calicots du Brésil ; nous sommes certains de pouvoir les expulser bientôt de la Chine. N’est-ce pas que c’est beau ? — En écoutant ces discours empreints d’un si bizarre enthousiasme, je faisais, hélas ! un retour pénible sur la France, où, comme