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que contre l’ennemi qui mugit à leurs portes toute défense est impossible, et que le plus sage est de fuir.

Jadis Saint-Jean de Luz avait ses digues naturelles. L’entrée de la baie était plus étroite, un banc de roche faisait l’office de brise-lames, et l’embouchure de la Nivelle restait encaissée entre la montagne de Bordagain et une grande dune. Vers le XVIIe siècle, les pointes du Socoa et de Sainte-Barbe cédèrent peu à peu ; le plateau d’Arta s’abaissa de plus en plus, et les vagues, arrivant sans obstacles sérieux jusqu’à la plage, commencèrent à l’entamer. Un premier mur fut construit pour les arrêter ; mais la mer gagnait chaque jour du terrain, et, le 22 février 1749, une tempête emporta cette première digue avec plusieurs maisons[1]. À partir de cette époque, les plus habiles ingénieurs ont vainement essayé de lutter contre la fatalité qui pèse sur Saint-Jean de Luz. Les ouvrages les plus solides en apparence ont été renversés, et leur destruction complète par les tempêtes de 1822 semble consacrer définitivement l’inutilité de ces tentatives. Pour lutter contre les vagues, M. de Baudres avait perfectionné l’œuvre de ses devanciers et épuisé toutes les ressources de son art. Une digue de terre battue avait été posée sur le bourrelet formé par la mer elle-même et renforcée par d’épais contreforts de maçonnerie placés dans l’intérieur. Son talus avait été revêtu d’un mur d’un mètre d’épaisseur très incliné, pour laisser moins de prise à la lame, et dallé de larges pierres de taille. D’énormes blocs de rochers maintenus par trois rangées de pilotis profondément enfoncés protégeaient le pied de la digue, et cependant, en quelques jours, les madriers furent arrachés, l’enrochement dispersé, la maçonnerie rasée, et cela à tel point qu’après la tempête on ne trouva pas même un débris de la digue sur une longueur de 140 mètres[2]. Partout, sur ces ruines qu’il avait faites, l’Océan avait jeté son manteau de sable et passé son niveau.

Aujourd’hui une nouvelle jetée est venue remplacer celles que la mer a détruites ; nous n’osons espérer qu’elle résiste mieux que ses aînées. Déjà les sables s’accumulent à sa base, et à chaque coup de vent les vagues passent par-dessus, retombent dans la ville, et roulent dans les rues leurs flots mêlés de sable et de gravier. Sauver Saint-Jean de Luz par des défenses immédiates paraît désormais impossible. Serait-on plus heureux en le couvrant d’ouvrages avancés ? L’expérience encore semble dire que non. Déjà Vauban avait voulu fermer la baie au moyen de deux jetées qui, s’appuyant sur les rochers de Sainte-Barbe et du Socoa, n’auraient laissé dans le milieu qu’un étroit goulet. Vers la fin du dernier siècle, ce projet reçut un commencement d’exécution ;

  1. Note sur la baie de Saint-Jean de Luz, par M. P. Monnier, ingénieur hydrographe de la marine. (Annales maritimes et coloniales, 1837.)
  2. Nouveau Cours élémentaire de géologie, par M. J.-J.-N. Huot.