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mais, après plusieurs tentatives, on dut y renoncer[1]. La digue de Sainte-Barbe, poussée jusqu’à près de 200 mètres, est aujourd’hui abandonnée ; celle du Socoa, ramenée à un but d’utilité toute locale, se borne à protéger le fort et le port de ce petit havre. Ainsi Saint-Jean de Luz, ou au moins toute la portion de la ville qui sépare la baie du port, est fatalement vouée à la destruction. C’est ainsi qu’en avait jugé Napoléon dans un de ses voyages. Aussi, loin de poursuivre cette lutte avec l’Océan, voulait-il s’aider de sa puissance après lui avoir fait sa part. D’après des plans ébauchés sous son inspiration directe, on aurait rasé la ville jusqu’à la hauteur de l’église, et ouvert à la mer un large passage vers les bas-fonds où coule la Nivelle. Un port creusé derrière la montagne de Siboure aurait abrité les navires, et enfin, car rien n’arrêtait ce génie, qui se plaisait au gigantesque, l’Adour, détourné de son lit actuel, serait venu verser ses eaux au fond de la nouvelle rade et en prévenir l’ensablement. Ce projet, qui devait donner à nos côtes un port de refuge dont elles manquent absolument, était-il praticable ? Nous laisserons notre collaborateur M. Baude répondre à cette question dans quelqu’un de ces travaux remarquables qu’il publie sur les côtes de France.

On ne peut contempler les dévastations que la mer exerce le long de ces côtes, et surtout à Saint-Jean de Luz, sans se demander quelle cause particulière donne ici à l’Océan cette terrible puissance. Une expérience bien simple résoudra pour nous ce problème. Prenez un entonnoir renversé, et plongez-le rapidement dans un vase rempli d’eau, en ayant soin de ne pas submerger l’ouverture : à chaque mouvement, vous verrez le liquide monter dans l’entonnoir bien au-dessus du niveau extérieur et s’élancer en gerbe par l’orifice. Si, l’entonnoir restant immobile, le vase s’élevait brusquement de bas en haut, il en serait exactement de même. Eh bien ! la baie de Biscaye, formée par la réunion des côtes de France et d’Espagne, qui se coupent presque à angle droit, forme une sorte d’entonnoir gigantesque dont la base s’ouvre au nord-ouest. En outre, dans presque toute leur étendue, ces côtes plongent dans la mer sous des pentes de plus en plus rapides à, mesure qu’on avance vers le fond de la baie, et la profondeur des eaux à peu de distance du rivage s’accroît dans le même rapport[2]. Aussi la houle, poussée par le vent du nord-ouest, traverse toute

  1. Mémoire de M. Monnier.
  2. A la hauteur de la tour de Cordouan, à l’entrée de la Gironde, la ligne de brassiage, indiquant une profondeur de 300 mètres, est éloignée de la côte d’environ 40 lieues. La même ligne passe à peu près à 9 lieues de Saint-Jean de Luz. La ligne indiquant 50 mètres de profondeur est à 10 lieues au moins de la tour de Cordouan ; elle est à peine à une lieue des pointes de Socoa et Sainte-Barbe. Enfin, à une demi-lieue de ces mêmes pointes, la mer a encore 30 et 35 mètres de profondeur.