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Mon regard s’était tourné vers l’homme que l’avoué me désignait : le chaudronnier se tenait assis presque sous notre fenêtre, à l’entrée d’un appentis en ruine ; ses outils étaient dispersés autour d’un grand bassin qu’il venait de réparer pour l’aubergiste, et il se préparait à dîner d’un morceau de pain noir et d’un oignon. Son costume était pauvre et usé ; ses cheveux gris, coupés carrément au-dessus de ses sourcils noirs, descendaient des deux côtés d’un visage bistré auquel ils servaient de cadre. Maigre, agile et visiblement endurci par la pauvreté, le chaudronnier avait dans toute sa personne quelque chose d’âpre, de persistant qui appelait et retenait l’attention. Nous allions quitter la fenêtre après avoir observé pendant quelques instans cette étrange figure, lorsque tout à coup nous vîmes le chaudronnier tressaillir, se relever d’un bond, courir vers une ruelle qui s’ouvrait à quelques pas et s’y élancer. Nous cherchâmes en vain des yeux ce qu’il avait pu apercevoir : la ruelle semblait silencieuse et déserte. Le chaudronnier en atteignit l’extrémité, regarda à droite et à gauche, monta sur le mur d’appui d’un petit jardin pour mieux voir, puis revint, d’un air pensif, s’asseoir sous le hangar où nous l’avions remarqué d’abord. En ce moment, l’aubergiste entra. Nous lui demandâmes quel était cet homme ?

— Le chaudronnier ? dit-il. Pardieu ! il faudrait le demander au diable ! Plusieurs fois j’ai voulu causer avec lui ; mais, quand on lui, parle, c’est comme si on criait dans un puits : rien ne répond. Tout ce que je puis vous dire, c’est qu’on le nomme Claude et plus souvent le rouleur, parce qu’il court toujours le pays. On est certain de le voir arriver ici toutes les fois qu’on fouille la butte ; aussi le regarde-t-on comme un chercheur de trésors. Il paraît même que, l’an dernier, il s’est laissé payer à boire par les gas du Chêne-Vert, et, comme le cidre lui a desserré les dents, il leur a raconté des merveilles.

L’avoué et moi nous échangeâmes un regard. La même idée nous était venue en même temps : il fallait faire parler Claude à tout prix ! Nous sortîmes sous prétexte de visiter nos chevaux, et, après avoir jeté un coup d’œil dans l’écurie, nous nous approchâmes sans affectation du chaudronnier. Plongé dans une sorte de rêverie chagrine, il ne s’aperçut point de notre approche. Mon compagnon le salua avec cette aisance joviale qui est le privilège de certains caractères ; le rouleur ne répondit point tout de suite, et quelques instans se passèrent avant que la question qui avait, comme un vain bruit, frappé son oreille, parût arriver jusqu’à son esprit : il tressaillit alors, se retourna et rendit le salut avec réserve.

— Eh bien ! les affaires vont-elles, mon brave ? demanda l’avoué ; y a-t-il beaucoup de chaudrons percés dans le pays ?

— Monsieur voit qu’il y en a assez pour faire vivre un homme, répliqua froidement l’ouvrier.