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partant pas de bals, de collations ni de cavalcades. L’aubergiste de Saint-Cosme ne pouvait perdre le souvenir des fêtes données par les entrepreneuses précédentes, dont il nous parla avec des élans d’admiration et des soupirs de regret. J’en vins à demander quels avaient été les résultats des premières fouilles : le flot de paroles s’arrêta, et, comme le contre-maître du mont Jallu, notre hôte s’enveloppa dans une prudente discrétion. Je voulus plaisanter les folles espérances des chercheurs d’or ; l’aubergiste prit aussitôt l’air d’une vieille prude devant qui on parle d’amour. J’insistai ; il rompit l’entretien en prétextant quelques additions à faire au couvert. Je fis remarquer cette singulière réserve à mon compagnon.

— Vous la trouverez, me dit-il, chez tous les habitans du pays auxquels vous parlerez des trésors du mont Jallu. Ils connaissent trop bien les avantages d’une pareille croyance pour aider à l’ébranler. Personne ne tourne en ridicule la montagne qui l’enrichit. Ce qui est d’ailleurs une fiction pour les autres est pour eux une vérité. La motte d’Ygé contient réellement un talisman sans prix : c’est cette ombre de trésor qui attire ici les écus des spéculateurs crédules, comme la fameuse montagne d’aimant des Mille et une Nuits attirait autrefois les vaisseaux. Tout compte fait, cette colline a déjà rapporté aux gens de Champaissant et de Saint-Cosme plus de deux cent mille francs. Le moyen de traiter légèrement une pareille voisine !

— Ses bienfaits sont encore peu apparens, repris-je en m’accoudant à la fenêtre, qui était ouverte. Voyez ces ruelles fangeuses, ces maisons lézardées, ces pauvres enfans qui courent nus pieds sur les cailloux du chemin ! Je ne connais rien de plus propre à faire mentir les idylles qu’un village de France. Pas d’arbres pour ombrager les seuils, pas une fleur pour égayer les fenêtres, aucun témoignage de cet amour de l’homme pour sa demeure, qui est le premier symptôme du bonheur domestique. Ici, la vie est une halte dans la misère et dans la laideur.

C’est un côté de l’aspect, dit mon compagnon en riant ; mais il y en a un autre comme pour toute chose. Vous connaissez le mot de Mme de Staël, qui entendait faire une remarque pleine de justesse « Oh ! que cela est vrai ! s’écria-t-elle, cela est vrai… comme le contraire ! » Nos villages français sont inhabitables sans doute, mais en revanche ils sont presque toujours pittoresques. Si la civilisation y perd, le paysage y gagne, et je connais beaucoup d’artistes qui pensent encore que le monde a été fait surtout pour être peint. Otez-en les maisons croulantes, les rues en zigzag et les enfans en haillons : ils crieront que l’art est perdu ! À leur point de vue, cette place de village est une magnifique étude flamande, et ils donneraient tous les cottages de l’Angleterre pour le seul coin de grange où vous voyez ce chaudronnier ambulant.