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provinces, la trêve de la nuit de Noël. Une tradition répandue dans la chrétienté avait fait du moment où naquit le Sauveur une sorte de suspension à toutes les lois du monde connu et du monde invisible. Il y avait une halte universelle dans la méchanceté, dans l’impuissance et dans les châtimens. Le cœur de l’univers n’était plus oppressé de son immense angoisse ; la création entière poussait un soupir de bonheur. Cette trêve de Dieu durait pendant tout l’évangile de la messe de minuit. C’était alors que les menhirs (pierres-fées) allaient boire à la mer et laissaient à découvert leurs trésors que les vouivres et les dragons déposaient l’escarboucle qui les couronne pour se baigner aux fontaines, que les bons et les mauvais esprits oubliaient l’exercice de leur puissance, que les animaux eux-mêmes, sortant du silence infligé par Dieu depuis la trahison du serpent, recouvraient la parole. Les cavernes les plus secrètes montraient leurs entrées, la mer laissait voir au fond de Ses abîmes, les montagnes ouvraient leurs flancs, et la terre, tressaillant d’allégresse, offrait aux hommes tout ce qu’elle renferme, comme un festin de réjouissance. Le chercheur de trésors devait profiter de ce moment pour puiser aux mille sources des richesses cachées ; mais il lui fallait pour cela, outre la connaissance des opulentes cachettes, beaucoup d’audace, de promptitude et d’adresse, car, au premier son de la clochette qui se faisait entendre après l’évangile, la trêve expirait ; c’était le canon de la messe de minuit qui annonçait la reprise de la grande bataille du monde. Les esprits malfaisans reprenaient toute leur colère, et malheur à qui se laissait surprendre par eux, car il devenait leur proie jusqu’au jugement.

Depuis vingt années, Claude cherchait à profiter de cette trêve de Dieu sans avoir pu trouver encore l’occasion favorable ; mais cet insuccès n’avait point ébranlé sa foi. À chaque Noël perdue, il ajournait ses espérances jusqu’à la Noël suivante, et attendait patiemment en comptant les jours. Certain d’arriver à une de ces fabuleuses opulences que la pauvreté seule sait rêver, il supportait ses privations avec une sorte de dédain inattentif ; sa misère ne lui semblait qu’une attente. C’était la nuit passée dans la cabane du charbonnier par le roi qui va prendre possession d’un trône.

Je voyais pour la première fois un de ces hommes qui marchent enveloppés dans leur idée comme dans un nuage : monomanes dignes de pitié ou d’admiration, suivant le but auquel ils tendent, mais toujours faits pour saisir l’ame, parce qu’ils la glorifient. Qu’est-ce, en effet, que leur folie, sinon une victoire de la volonté sur les instincts ? S’abandonner au courant des jours en profitant de ce que chaque vague vous apporte, c’est jouer simplement, sur l’océan humain, le rôle d’une épave ; mais choisir sa direction sur cette mer et cingler vers un