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il erre d’île en île, cherchant une consolation dans les chants naïfs qui lui rappellent une époque plus heureuse de sa vie. Par malheur, il n’a pas toujours recours à des moyens aussi innocens pour endormir ses remords : la stupéfiante liqueur du cava est pour lui un spécifique non moins certain contre les angoisses morales, et le malheureux n’en use que trop largement. Après avoir achevé son récit, il vide une large coupe de sa boisson favorite, sans laquelle, dit-il, il ne peut dormir, et bientôt, sous cette perfide influence, un lourd sommeil s’empare du vieillard. L’Anglais s’éloigne alors, appuyé sur le bras de la jeune Indienne. Cette rencontre l’a tristement ému. Le récit de l’Indien a fait évanouir les poétiques impressions que ses chants avaient éveillées dans l’ame du voyageur. Le contact des classes flétries, des farouches aventuriers de l’Amérique ou de l’Europe avec les races primitives de l’Océanie attristera long-temps encore ces parages. Ce fait douloureux ne pouvait être mis plus énergiquement en relief que par l’histoire du musicien vagabond des îles Sandwich.

Les dernières scènes de la croisière du Collingwood forment un heureux contraste à l’histoire de ce triste ménestrel. À Guayaquil, qu’au retour on visite en passant, nous pénétrons dans la vie privée des républicains de l’Amérique du Sud. Guyaquil est le port de la république de l’Équateur. À Guayaquil, nous faisons connaissance d’abord avec un des types les plus curieux de cette république, le pilote, — non pas celui des côtes d’Europe, mais le pilote de l’Amérique espagnole. — Tous ceux qui ont visité les environs de quelque port européen ont pu connaître ce type singulier tel qu’il s’offre à nous, modifié par la civilisation occidentale. Entre deux lames, légère et fragile comme une coquille de noix, file une embarcation pontée. Deux rudes marins, enveloppés de cabans goudronnés, dirigent ce frêle esquif que chaque vague semble près d’engloutir. À peine découvre-t-on, au milieu des lames, cette chétive embarcation, et pourtant ceux qui la montent ont sauvé plus d’un grand navire ; l’un de ces hommes est le pilote, l’autre est un matelot. Le pilote américain est invisible, lui aussi, dans la grosse mer ; mais ce n’est pas qu’il faille le chercher entre deux lames furieuses qui le couvrent de leur écume : on ne le rencontre guère que suspendu au hamac de sa cabane, où il s’endort, bercé par les monotones gémissemens du vent et de la mer. Quand il se réveille, c’est juste pour indiquer, non pas la passe la plus sûre aux marins, qui l’ont franchie sans son aide, mais l’auberge la plus confortable aux voyageurs débarqués. C’est un pilote de l’Amérique espagnole que rencontre l’équipage anglais que nous suivons à travers l’Océan Pacifique. Le vaisseau n’est arrivé au bas de la rivière de Guayaquil qu’à la tombée de la nuit. Le capitaine, effaré, cherche vainement le feu de l’île de Santa-Clara et un pilote. Le feu s’est éteint faute d’huile, le pilote dort. Toute la nuit se